Nous avons déjà exploré la figure du corbeau dans plusieurs mythologies européennes (romaines, celtes, nordiques, finlandaise, estonienne...). Nous reviendrons un peu plus tard sur d'autres légendes, notamment des mythes asiatiques ou amérindiens. Pour le moment, je vous propose d'avancer dans le temps pour suivre le corbeau au Moyen Âge.
Plus particulièrement, nous avons pu voir que pour les peuples anciens, le corbeau pouvait être soit :
- redouté : pour son aspect nécrophage et porte-malheur
- vénéré : pour ses aptitudes divinatoires, son lien avec l'au-delà, son caractère psychopompe.
Bien souvent, ces deux aspects se croisent ou se recoupent.
Or, le Moyen Âge coïncide avec une mutation majeure : l'essor du christianisme. On dit bye-bye aux religions anciennes. Les ecclésiastiques tentent de gommer toutes traces des anciens cultes, en utilisant deux méthodes :
- ils retournent complètement les anciens symboles : le bien devient mauvais, les animaux jadis honoré deviennent des bêtes de Satan (c'est ce qui s'est passé avec le loup par exemple, ou même avec le chat).
- ils se réapproprient les mythes et les coutumes mais les patinent avec un vernis plus catholique (c'est par exemple le cas de Noël, souvenir des anciennes fêtes du Solstice d'Hiver).
Les corbeaux n'ont pas échappé à cette mutation. Comment les considérait-on au Moyen Âge ? Allons faire un petit tour dans la Bible pour voir ce que les chrétiens pensaient de cet oiseau noir...
Manuscrit du XIIe s. (source) |
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Dans l'Ancien et le Nouveau Testament, on trouve le terme hébreu orêb qui désigne tous les corvidés. Il tire probablement son origine d'une racine signifiant "soir" : en langue sémitique on a "ereb" (= soir), le mot Maghreb vient de "m-arêb" (= le couchant), et dans la mythologie grecque Erèbe est une divinité du Chaos personnifiant les enfers et les ténèbres.
L'hébreu orêb, donc, se réfère certainement au noir plumage de l'oiseau.
*Le corbeau est vu comme un symbole de désolation. Il apparaît dans les ruines. Par exemple, à propos des vestiges du pays d'Edom : "A tout jamais personne n'y passera. Le pélican et le hérisson la posséderont, La chouette et le corbeau l'habiteront." (Esaïe, 34, 10-11)
De même pour le peuple d'Assyrie qui verra sa ville rasée : "Une voix chantonne à la fenêtre
un corbeau est sur le seuil :
c’est que le [palais de] cèdre a été arraché" (Sophonie, 2,14)
*Le corbeau est aussi vu comme un animal impur dont on ne doit pas consommer la chair (sans doute car il est lui-même nécrophage): "Voici, parmi les oiseaux, ceux que vous aurez en abomination, et dont on ne mangera pas: l’aigle, l’orfraie et l’aigle de mer; le milan, l’autour et ce qui est de son espèce; le corbeau et toutes ses espèces" (Deutéronome, 14, 14-15)
Corbeau dévorant un cadavre, enluminure du Bestiaire de Pierre de Beauvais, XIIIe s. (source) |
*Le corbeau est vu comme un oiseau indigne qui abandonne ses oisillons (on retrouve là une croyance qui se perpétue depuis l'Antiquité romaine). Mais Dieu les prend en pitié : c'est lui-même qui se charge de nourrir les corbillats. "Il donne la nourriture au bétail, Aux petits du corbeau quand ils crient" (Psaumes 147,9)
Par la suite, au XIIIe s. Thomas D'Aquin écrit dans sa Somme Théologique : "Les petits des corbeaux invoquent Dieu, à cause du désir naturel par
lequel tous les êtres veulent, à leur manière, participer à la bonté
divine. C'est de la sorte qu'on dit également que les animaux obéissent à
Dieu, à cause de l'instinct naturel par lequel il les meut."
Quelque part, les corbeaux ne sont pas bien différents des Hommes qui doivent tout leur bien à Dieu : "Considérez les corbeaux: ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni cellier ni grenier; et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que les oiseaux!" (Luc, 12,24)
Manuscrit du XIIIe s (source) |
*Le corbeau devient aussi comme l'instrument du courroux divin : "L’œil qui se rit d’un père
et qui refuse l’obéissance due à une mère,
les corbeaux du torrent le crèveront
et les aigles le dévoreront". (Proverbes 30,17)
Corbeau picorant l'oeil d'un cadavre, manuscrit du XIVe s. (source) |
Il apparaît donc que le corbeau est montré de manière plutôt négative... mais en même temps, il sert les desseins de Dieu : il punit les pêcheurs et envahit les ruines des cités impies. Peut-être cherche-t-il à payer sa dette à Dieu qui l'a nourri au sortir de l’œuf ?
Nous verrons ces prochains jours quelques épisodes bibliques où le corbeau joue un rôle plus particulier.
Il en a bien des facettes le corbeau ! là, sur un manuscrit, on le voit picorant l'oeil d'un cadavre, et sur un autre, nourrissant ces petits; Au moyen âge, son image se valorise, grâce à Dieu !!
RépondreSupprimerDé-valorisé, tout dépend. Moins aimé qu'avec les peuple "païen" qui le vénérait, en tout cas !
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