La Cène

Nous avons beaucoup parlé des trotte-menus médiévaux, et notamment de la place qu'ils occupent dans les croyances religieuses. 

 

Un peu d'humour noir aujourd'hui avec cette publicité qui revisite la Cène peinte par Léonard de Vinci. 

 

(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

 

Comme vous le savez, la Cène est le dernier repas du Christ... Ici, il s'agit du dernier repas des rats car les aliments ont été empoisonnés à l'aide d'un raticide (c'est-à-dire de mort aux rats !)

Superstitions

 Les superstitions liées aux animaux étaient monnaies courantes autrefois (et elles leur collent parfois encore à la peau, de même que les clichés). 

 

Ainsi, concernant les rats et les souris, on croyait autrefois que...

 

• S'ils quittent une maison sans raison (de même qu'un navire) c'est qu'ils pressentent un malheur, voire qu'un membre de la maisonnée va mourir. 

• S'ils rongent les meubles d'une chambre, c'est que celui qui y dort va bientôt mourir.

•  Une souris blanche sort de la bouche des morts : c'est son âme qui quitte sa chair (croyance particulièrement ancrée en Bretagne). Elle serait donc un animal psychopompe.
  

 

Animaux des bas-fonds et de la nuit, rats et souris sont donc souvent liés au monde de la mort. 

 

Rassurez-vous, il existe des moyens de conjurer le mauvais sort :

 

• Nous avons déjà évoqué l'eau de Ste Gertrude, utilisée pour chasser les rats. 

• Sinon, vous pouvez aussi enduire les rats de colle et de plumes avant d'y mettre le feu (ça ressemble à un supplice de cow-boy, si vous voulez mon avis !). Encore faut-il réussir à attraper les rats...

• Avec deux autres acolytes, placez-vous dans trois coins de la maison et lisez l'Evangile selon Saint Jean : les rats fuiront par le quatrième coin.

• Idem, le premier dimanche de carême, répandez de l'eau bénite dans trois coins du grenier pour que les rats s'en aillent par le quatrième.

• Fourrez le derrière d'un rat avec de l'ail : il ira conter ses malheur à ses comparses et plus aucun d'eux ne vous portera noise (j'imagine que ça marche pour les rats vampires !).

• Pour protégez vos plantations, vous pouvez réciter cette incantation ou l'inscrire sur un panneau : « Je vous conjure tous, méchants rats qui êtes ici, de ne me faire aucun tort. Je vous défends ce champ, et si après ma défense, je vous y retrouve jamais, j'atteste la mère des dieux que je vous couperai en sept morceaux ! »

• Enfin, vous pouvez apprivoiser un rat albinos : en le voyant, les autres rats le prendront pour un spectre et se tiendront à l'écart...  

 

Si vous voulez mon avis, le meilleur moyen reste d'avoir un chat chez soi ! 

Les trotte-menus de Rougemuraille

 

Autre roman à l'univers médiéval aujourd'hui ! 

 

Nous avons déjà évoqué la série de fantasy animalière Rougemuraille de Brian Jacques l'année dernière, lors de l'Eté renard. 

 

Mais je suis obligée de vous en reparler cette année, car Rougemuraille met en scène de nombreux trotte-menus. En effet, la série tire son nom de l'abbaye où se déroule le cœur des aventures, une abbaye fondée par des souris.  

 

Ainsi, la plupart des héros et des héroïnes, qui changent à chaque tome, sont des souriceaux : Martin le Guerrier, fondateur et premier défenseur de Rougemuraille ; Mathieu et son fils Mattiméo, héritiers spirituels de Martin ; le vieil abbé Mathusalem ;  les douces Florine, Béa ou Rose ; l'intrépide Mariel et sa corde à noeud...

Il serait trop long de tous vous les énumérer. 

 

Martin
(source)

Mariel
(Illustration de Philippe Munch)

A côté de ces souris, dans une opposition qui doit vous être familière désormais, nous trouvons les rats. 

Si les souris sont bonnes, pieuses, assez raffinée et courageuses, les rats sont des brigands de la pire espèce. Orgueilleux, bagarreurs, grossiers et couards, leur seul objectif est de pillé et de s'approprier les biens de Rougemuraille. C'est pour défendre l'abbaye et le petit peuple des contrées alentours que Rougemuraille doit se doter de guerriers et de guerrières tels que Martin ou Mariel. 

 

Il existe deux sortes de rats :

• Les rats "de terre", envahisseur qui viennent par la terre. Le premier à apparaître est Cluny le Fléau. 

(Illustration de Philippe Munch)

 

• Les rats de mer, véritables pirates. On peut par exemple citer Kamoul le sauvage qui s'en prend à Mariel

 

(Illustration de Philippe Munch)

Outre les rats et les souris, on trouve aussi quelques loirs, qui jouent un rôle secondaire.

 

Les musaraignes, en revanche, ont une grande importance : elles forment l'Ugmuray (Union Guerrière des Musaraignes de Mousseray) et combattent sous les ordres d'un chef nommé Dugudule (elles accourent quand elles entendent son cri de ralliement : duguduguduguduguduuuuule !) Toujours gentilles, elles aident les souris dans leurs quête. 

Elles se déplacent sur la rivière à bord de petits radeaux et servent souvent de passeuses pour les souris. 

Farouches, elles se battent à l'aide de rapières. 

 

Les archers de l'Ugmuray
(source)

Les musaraignes pygmées sont bien moins gentilles : sauvages, elles sont complètement folles, cruelles et tyranniques. Mieux vaut ne pas tomber entre leurs pattes !

 

Hé-rat-ldique

Les trotte-menus ne sont pas absents des blasons ! 

En effet, on retrouve des souris ou des rats (aussi appelés glés) sur plusieurs armoiries.

Rats et souris auraient été un symbole de discrétion et de prudence (ce n'est pas pour rien qu'on dit "être discret comme une souris"). 

Reste qu'en héraldique, ils étaient surtout utilisés pour des jeux onomastiques et des rébus, quand la famille ou la ville en question contient le mot "rat" (ou équivalent dans une autre langue) dans leur nom. 

Ainsi, l'ancien blason de la ville d'Arras (A-rats) montre trois rats. Lorsque la ville fut assiégée par Louis XIII (elle était alors autrichienne), on grava ce distique sur l'une des portes :

 Quand les Français prendront 

Arras Les rats mangeront les chats. 

 

 

Riencourt-lès-Bapaume et Arleux-en-Gohelle sont deux communes dont les blasons présentent aussi neufs rats, justement car elles appartenaient à l'évéché d'Arras. 

 

Blason de Riencourt-lès-Bapaume

 

Blason d'Arleux-en-Gohelle

 

La ville de Mychkine en Russie affiche un ours et une souris (car "mych" en russe, signifie souris : encore un jeu de mots !) 

La famille Racine avait également des armoiries basées sur un rébus : Rat-Cygne :

Mais le célèbre dramaturge Jean Racine trouvait que le rat souillait son image, aussi ne garda-t-il que le cygne... Dans ce cas, pourquoi ne s'est-il pas rebaptisé Jean Cygne, je vous le demande ?

 La famille Muyser Lantwick possède quant à elle un chat avec une patte posé sur une souris, illustrant par là leur bravoure, leur force et leur ruse.

 

(j'ai mis les images en petit, mais souvenez-vous que vous pouvez toujours cliquer dessus pour les agrandir)
 

La Quête de Despereaux

Je vais profiter que nous soyons arrivés au Moyen Âge pour vous parler de La Quête de Despereaux, un roman jeunesse écrit par Kate DiCamillo.

Kate Di Camillo nous donne, en quelque sorte, une réécriture du mythe de la Caverne.

Dans ce roman aux allures de conte de fées, les rats vivent reclus dans les ténèbres des oubliettes tandis qu'à la surface se déploie un fastueux royaume où les habitants ne jurent que par la soupe. Or, Chiaroscuro, contrairement à ses semblables, est un rat attiré par la lumière. Il préfère découvrir le monde plutôt que de rester enfermé dans le noir. Malheureusement pour lui, il va involontairement causer la mort de la Reine et être le prétexte à de nouvelles lois : la soupe est désormais interdite dans l'ensemble du royaume et tous les rats sont bannis à jamais...

Et Despereaux dans tout ça ? Despereaux lui, n'est pas un rat mais un souriceau. Un souriceau peu ordinaire, certes : déjà à sa naissance, il était bizarre avec ses yeux ouverts et ses immenses oreilles ! A l'inverse des autres souris, il ne craint ni les chats ni les tapettes. Au contraire, il est courageux et rêve de chevalerie. Par ailleurs, au lieu de grignoter les livres, il les lit (un vrai petit rat de bibliothèque) !

illustration de Timothy Basil Ering

Toutes ces bizarreries auraient pu lui être pardonnées s'il n'avait commis un acte impardonnable : tomber amoureux d'une humaine, la Princesse Petit Pois. C'en est trop pour le conseil des souris, qui jette Despereaux aux oubliettes, royaume des rats, de l'oubli et de l'obscurité...

 Malgré tout, la bravoure du souriceau est intacte et il compte bien retourner à la surface pour défendre, comme il se doit, sa belle Princesse !

illustration de Timothy Basil Ering

Kate Di Camillo nous brosse, dans ce roman, le portrait d'un petit paladin qui n'a pas peur d'affirmer sa différence pour défendre les valeurs qui lui sont chères.
Il s'inscrit dans la lignée de Reepicheep ou encore de Hopper.

Par ailleurs, vous remarquerez que nous retrouvons encore l'opposition gentille souris /méchant rat dans ce livre.

Illustration de Nikolaj Djatschenko

La Quête de Despereaux a été adapté en dessin-animé il y a quelques années. Malgré quelques dissemblances, l'histoire reste globalement la même.
J'ai mis très longtemps à savoir la fin car la première fois que j'ai regardé ce film, il y a une dizaine d'années, je me suis endormie devant... Je crois que c'est la seule fois que ça m'est arrivée ! Rassurez-vous, ce n'est pas parce que le film était ennuyant... mais parce que j'étais malade ^^

Sainte Gertrude

Les trotte-menus étaient maudits au Moyen Âge, mais heureusement ils avaient une protectrice !

Sainte Gertrude de Nivelles, qui a vécu au VIIème siècle, est connue pour être la patronne des jardiniers, des fileuses, des chats et surtout (ce qui nous intéresse cette année) des rats et des souris.

gravure du XVIIe siècle

Gertrude fait preuve, dès son plus jeune âge, d'un penchant pour la religion et décide de vouer sa vie à Dieu. Sa mère, qui approuve son projet, lui coupe les cheveux à 10 ans pour montrer qu'elle ne se mariera pas mais entrera au couvent.
De fait, Gertrude devient abbesse, vient en aide aux plus démunis et s'épuise dans les jeûnes et les privations (ce qui causera sa mort).

Bas relief à Utrecht

Pourquoi est-elle la patronne des souris et des rats ? Difficile à dire ! Beaucoup pense qu'il y a un   rapport entre la date de sa fête (17 mars, jours de sa mort) et la reprise des activité agricoles : puisqu'elle est la protectrice des jardiniers, elle les protège des invasions de rats et de souris, qui viennent dévorer grains et céréales !
Peut-être aussi y-a-t-il un rapport avec le fait qu'elle soit la protectrice des fileuses (car, comme vous le savez, les souris adorent grignoter cordes et fils !)

source

Mais peut-être est-ce simplement car elle a souvent porté secours aux démunies (aux petites souris de ce monde) ?

Revers de la médailles, elle est également patronne des chats, lesquels sont aussi des protecteurs contre les rats (on retrouve en quelque sorte l'ambivalence qu'on avait déjà pour Apollon : à la fois protecteur de et contre)

Toujours est-il qu'elle est souvent représentée entourée de souris/rats, à ses pieds ou grimpants le long de sa robe.

Miniature d'un manuscrit du XVe siècle

 A Nivelles, on dépose du blé ou des céréales en offrande à la sainte pour qu'elle protège les moissons. L'eau puisée dans sa crypte est utilisée depuis le Moyen Âge pour éloigner les invasions de rongeurs.

Ste Gertrude et Ste Claire d'Assise (manuscrit du XVIe)

 Selon une croyance, il faut réciter cette formule pour chasser les rats d'un endroit : Rat, rate ou souriate, souviens-toi que sainte Gertrude est morte pour toi dans un coffre de fer rouge ; je te conjure, au nom du grand Dieu vivant, de t’en aller hors de mes bâtiments et héritages.
(Je n'ai trouvé nulle part la référence de ce coffre de fer rouge...)

Miniature d'un manuscrit du XVIème siècle

Les Musorites

Voici une autre légende qui parle de la création des trotte-menus (et d'un châtiment divin) :

Des Philistins (peuple ennemi des juifs dans la Bible) avaient enlevés l'Arche d'Alliance, ce coffre qui contient les Tables des Lois (les Dix Commandements donnés à Moïse par Dieu).
Pour les contraindre à rendre l'Arche, Dieu envoya sur eux des rats et des souris qui dévorèrent toutes leurs affaires et leur amenèrent la peste. Ils furent ainsi forcés de rendre l'Arche d'Alliance aux juifs et ils durent, pour être délivré de leurs rongeurs, placer dans le coffre cinq souris en or en offrande à Dieu.


Selon le Premier Livre de Samuel (6.1-21), les devins des Philistins parlèrent ainsi quand ils leur demandèrent comment se débarasser du fléau :

"Vous prendrez l'arche de l'Eternel et vous la mettrez sur le char. Vous placerez à côté d'elle, dans un coffre, les objets d'or que vous donnez à l'Eternel en sacrifice de culpabilité, puis vous la renverrez et elle partira. Suivez-la du regard: si elle monte par le chemin de sa frontière vers Beth-Shémesh, cela signifie que c'est l'Eternel qui nous a fait ce grand mal; sinon, nous saurons que ce n'est pas sa main qui nous a frappés, mais que cela nous est arrivé par hasard."

C'est ce que firent ces hommes. Ils prirent deux vaches qui allaitaient et les attelèrent au char, et ils enfermèrent les petits dans l'étable.  Ils mirent sur le char l'arche de l'Eternel ainsi que le coffre avec les souris en or et les représentations de leurs tumeurs.  Les vaches prirent directement le chemin de Beth-Shémesh; elles suivirent toujours la même route en mugissant, sans s'écarter à droite ou à gauche. Les princes des Philistins les suivirent jusqu'à la frontière de Beth-Shémesh.  Les habitants de Beth-Shémesh moissonnaient les blés dans la vallée; ils levèrent les yeux, aperçurent l'arche et se réjouirent en la voyant.
 Le char arriva dans le champ de Josué, un habitant de Beth-Shémesh, et s'y arrêta. Il y avait là une grande pierre. On fendit le bois du char et l'on offrit les vaches en holocauste à l'Eternel.
 Les Lévites descendirent l'arche de l'Eternel ainsi que le coffre qui se trouvait à côté d'elle et qui contenait les objets en or, et ils posèrent le tout sur la grande pierre. Les habitants de Beth-Shémesh offrirent ce jour-là des holocaustes et des sacrifices à l'Eternel.
Après avoir vu cela, les cinq princes des Philistins retournèrent à Ekron le jour même. Voici les tumeurs en or que les Philistins donnèrent à l'Eternel en sacrifice de culpabilité: une pour Asdod, une pour Gaza, une pour Askalon, une pour Gath, une pour Ekron.
 Il y avait aussi le nombre de souris en or correspondant au nombre de villes philistines qui appartenaient aux cinq chefs

Illumination qui montre les souris attaquant les Philistins (à gauche)
et le char sur lequel a été posé l'Arche (à droite)

Selon cette légende, en souvenir de cet épisode, un peuple juif vénèrerait les souris et les rats. Il s'agit des Musorites, dont le nom signifie "souris-rat" voire "souris-souris" (Mus + Sorex ; deux synonymes de souris)

Les Tours de Souris

Preuve que les trotte-menus sont des animaux diaboliques au Moyen Âge, ils peuvent servir de châtiment aux "méchants".

J'ai ainsi trouvé deux histoires qui se réfèrent à deux personnages historiques cruels et qui se terminent de la même manière : avec une tour et des souris (mais pas de princesse ni de dragon).

* La Mysia Wieza à Kruszwica (Pologne)

Illustration d'A. Dzikiewicz

Cette tour a été construite vers 1350 mais elle remplace certainement une autre plus ancienne.
La légende raconte qu'au IXème siècle régnait un souverain fort cruel nommé Popiel. Un jour, il invita ses oncles à manger et, poussé par sa femme, les empoisonna tous. Il jeta leur corps dans le lac Goplo. Mais aussitôt, des dizaines de rats s’échappèrent des cadavres et se jetèrent sur Popiel et sa famille. Les mécréants s'enfuirent sur l'île au milieu du lac et tentèrent de trouver refuge dans la tour qui s'y dressait... En vain : les rats les y suivirent et les dévorèrent !

(Par la suite, ce fut un charron pieux qui monta sur le trône).

Gravure d'Alexander Guagnini

*Mäuseturm de Bingen (Allemagne)

Peinture de Victor Hugo (la tour est à droite)

Bien qu'elle semble dater du XIIIe siècle, la légende raconte que cette tour fut construite au Xe siècle (il s'agit peut-être encore d'une tour plus ancienne qui fut ensuite remplacée) par l'archevêque Hatto II.  La famine régnait sur tout le pays, mais l'archevêque disposait de bonnes réserves. Cependant, il refusa de donner du grain à des mendiants qui mourraient de faim. Comme ils continuaient à le prier de les aider, il les enferma dans une grange à laquelle il mit le feu. Les pauvres, brûlés vifs, hurlaient à l'intérieur.
"Entendez-vous les souris couiner là-dedans ?" plaisanta Hatto II.
Il aurait mieux valu qu'il se taise : une armada de souris surgit alors de la grange et se jeta sur lui. Il tenta de fuir en traversant le Rhin pour se réfugier dans sa tour, sur l'île de Bingen... Mais lui aussi fut dévoré par les souris. 

Illustration des Chroniques de Nuremberg

Ces légendes présentent donc des similitudes :
- une tour sur une île.
- des personnages cruels dévorés par les souris/rats
- le nom de la tour qui signifie à chaque fois, littéralement "Tour des souris".

source

Croûtard

Preuve que le rat est relié au monde de la sorcellerie aujourd'hui encore, dans la saga Harry Potter de J.K Rowling, les élèves sorciers doivent choisir un familier entre hibou/chouette, chat, crapaud et rat (bien que ce dernier ne soit pas mentionné sur la lettre d'admission).

Illustration Nova and Me

Ron, l'ami d'Harry, possède un rat nommé Croûtard (Scabbers en Anglais), hérité de son frère. Quand il le présente, il le décrit ainsi :

" - Il s'appelle Croûtard et il ne sert à rien. Il dort tout le temps. [...] Il pourrait aussi bien être mort, on ne verrait pas la différence, soupira Ron. Hier, j'ai essayé de lui jeter un sort, je voulais changer sa couleur en jaune pour le rendre un peu plus drôle, mais ça n'a pas marché. Je vais te montrer. Regarde...

Soleil, jonquille et canari, 

Que ce gros gras rat gris 

En jaune soit colorié 

De la tête jusqu'aux pieds.

 Il agita sa baguette, mais rien ne se produisit. Croûtard était toujours aussi gris et n'avait même pas ouvert un œil"

En réalité, Croûtard est plus important qu'il n'y paraît puisqu'il s'agit d'un sorcier félon caché sous l'apparence d'un rat...

Ron et Croûtard dans le film

 

***

Pour finir, je vous souhaite une joyeuse Mabon à tous !!!

 

Trotte-menus maudits au Moyen Âge !

Nous avons fait un petit détour par la plage après nous être intéressé aux trotte-menus durant l'Antiquité (notamment en Egypte, en Grèce et dans l'Empire Romain).

Poursuivons notre voyage chronologique en nous intéressant maintenant au Moyen Âge. 
Comme nous en avons déjà parlé, c'est surtout à partir du Moyen Âge que le rat, originaire d'Asie, s'est répandu en Europe (alors que la souris, elle, avait déjà pris ses aises depuis longtemps). 

A cette même époque, la peste se développe considérablement : même si cette maladie existait déjà durant l'Antiquité, la première véritable pandémie recensée a lieu au VIe siècle, suivie par une autre à partir du XIVème siècle (elle ressurgira périodiquement jusqu'au XXe siècle). Force est de constater que ces dates correspondent avec l'implantation du rat en Europe...

Manuscrit médiévale (3 chats chassant un rat et rat voleur d'oeufs)

Les Hommes ignoraient peut-être les causes exactes de la peste (ils soupçonnaient le chat davantage que le rat), mais ils ont bien remarqué que rats et souris pouvaient transmettre des maladies. Par ailleurs, les rongeurs souillent tout sur leur passage : les maisons, les réserves de nourriture... Ils détruisent les récoltes et causent des famines... Bref, ils ne sont pas très bien vu.
De plus, les rats ont tendance à vivre la nuit, dans les caves, les souterrains, les lieux humides... Ils sont ainsi reliés aux puissances dites chtoniennes (= souterraines, infernales).
A une époque où l'on est très croyant, il n'en faut pas plus pour faire du rat un animal démoniaque. 

Suppôt de Satan, créature envoyé par lui ou l'incarnant tout bonnement, le rat (ainsi que la souris, dans une moindre mesure) devient une bête noire au même titré que d'autres animaux tel le chat, le loup, le corbeau ou le crapaud.
(Je rappelle au passage que les Hommes ont, au Moyen Âge, tué des milliers de chats qu'ils considéraient comme diaboliques : s'ils n'avaient pas agi ainsi, les rats n'auraient proliféré autant et la peste aurait probablement eu un impact moindre.... si... si... si... si... c'est ce qu'on appelle de l'uchronie !)

Manuscrit médiéval

Bête du Diable, le rat devient, par conséquent, un familier de sorcière : un animal qui l'aidera à accomplir ses mauvais tours.
Cet imaginaire est toujours bien ancré aujourd'hui : on représente souvent les sorcières avec (outre un balai et un chaudron) un chat, un crapaud, un hibou et un rat.

Illustration de Christian Slade (2009)

Selon la légende, il existait même des meneurs de rats, au même titre que les meneurs de loups : ils se promenaient entourés d'un troupeau de rats, qu'il pouvait lancer sur leurs ennemis...

A coté de cette image démoniaque, comme sur les ostraca ou les loubok, les rats ont pu être humanisés à des fins humoristiques dans les enluminures.

Rats marins (Pontifical de Guillaume Durand, XIVe siècle)

Rat fauconnier monté sur un chat (Pontifical de Guillaume Durand)

Rat assiégeant un château (dans lequel est probablement réfugié un chat)

Chats, rats et mouette !

Nous avons déjà parlé du regretté Luis Sepulveda en début d’Été, à propos de son livre  Histoire du Chat et de la Souris qui devinrent amis. 

Aujourd'hui, je voudrais vous parler d'un autre de ses livres, Histoire d'une mouette et du Chat qui lui apprit à voler, pour rester dans le thème maritime et des rats.

En effet, l'histoire de ce livre se passe sur un port... Sur ce port il y a des rats et des chats !
Zorbas le chat doit apprendre à voler à Affortunata/ Félicitée la mouette. Or, les rats menacent ses projets car ils risquent de s'en prendre à l'oeuf (quand Affortunata n'est pas encore née) puis à l'oisillon.

Illustration de Miles Hyman

Dans le livre, ce problème est assez vite réglé : Zorbas passe un pacte avec les rats pour qu'ils se tiennent à l'écart.

"Un rat tendait ses pattes de devant vers le cou du poussin. 
En voyant Zorbas, le rat s'enfuit vers une lézarde ouverte dans le mur.
- Il voulait me manger ! cria le poussin en se serrant contre Zorbas.
- On n'avait pas pensé à ce danger. Je crois qu'il va falloir miauler avec les rats, déclara Zorbas. 
- D'accord. Mais ne fait pas trop de concessions à ces insolents, conseilla Colonello. 
[...] Zorbas descendit jusqu'à la cave. Il chercha derrière le coffre et vit dans le mur un trou par lequel il pouvait passer. Il écarta les toiles d'araignée et s'introduisit dans le monde des rats. Cela sentait l'humidité et les ordures. [...] C'est alors qu'il vit le chef des rats, un grand rongeur à la peau sombre, couturé de cicatrices et qui s'amusait à nettoyer les anneaux de sa queue avec une griffe. [...]
- Alors comme ça les chats ont un poussin. Je savais. On raconte beaucoup de choses dans les égouts. On dit que c'est un poussin délicieux. Hé ! Hé ! Hé ! glapit le rat.
 [...] Alors Zorbas sauta sur le chef des rats. Il lui tomba sur le dos en lui tenant  la tête entre ses griffes.
- Tu es sur le point de perdre tes yeux. Tes sbires vont peut-être faire de moi un pâté de chat, mais tu ne pourras pas le voir. Alors, vous laissez le poussin tranquille ? miaula Zorbas."

Après négociations, le roi des rats demande "le libre passage dans la cour" en échange de la vie de la petite mouette. 
Zorbas accepte :"D'accord. Vous pourrez passer dans la cour, mais la nuit, quand les humains ne vous verront pas. Nous, les chats, nous devons faire attention à notre prestige"


En revanche, dans le dessin-animé tiré du roman, les rats sont au cœur de l'histoire : ce sont eux les méchants et ils vont jusqu'à capturer Félicitée !

Heureusement que Papa-Zorba et tous les copains chats sont là pour lui venir en aide !

Bumposh

Bumposh n'est pas, quant à lui, un rat viking ou un rat pirate de mer... Mais c'est tout comme ! En réalité, c'est une sorte de pi-rat-te de l'espace !

Dans la trilogie science-fictionnelle des Maîtres des Brisants d'Erik L'Homme, Bumposh est le cyber-rat de Rymôr, second sur le vaisseau intergalactique Le Rongeur d'Os.
(Pour ceux-celles qui l'ignoreraient le terme "cyber" ou "cyborg" se rapporte notamment aux robots, aux êtres hybrides mi-vivants mi-machines) 

Illustration de Ruth Erdeljan

Voici la description de Bumposh :

"Son œil noir et la bille d'acier qui remplaçait celui crevé, le rictus qu'il avait lorsqu'il regardait les hommes, provoquaient d'irrépressibles frissons. 
La moitié inférieure de son corps était constituée de tubes et de plaques en polymétal.
Une légende courait dans le vaisseau, qui disait que le cyber-rat de Rymôr était télépathe. Ainsi, devant le maître d'équipage, chacun se pétrifiait. Par respect d'abord, parce que, si on craignait le géant, on admirait également son courage personnel et son sens de la justice. Mais surtout, chacun se concentrait pour essayer de dissimuler ses pensées à l'animal !"

Bref, "Le géant barbu était craint de l'équipage, mais son rat l'était plus encore".

Illustration de Benjamin carré

Reepicheep

Quand on me dit "rat navigateur" j'ai toujours tendance à penser à Reepicheep (Ripitchip en Français), souris de Narnia dans l'oeuvre de C.S Lewis. 

Reepicheep est, je crois, mon personnage préféré de Narnia.
Reepicheep ! Rien que le nom est splendide : un vrai nom de trotte-menu, de grignotin (rappelez-vous que le mot "rat" viendrait lui-même d'une onomatopée).

Reepicheep apparaît à partir du tome 4 de Narnia (Le Prince Caspian), mais on trouve déjà des souris dans Narnia avant lui : ce sont notamment elles qui libèrent le lion Aslan de ses liens, quand il a été attaché et sacrifié sur la Table de Pierre par la Sorcière Blanche (dans le tome 2).

Dans Le Prince Caspian, Reepicheep la souris parlante apparaît pour aider Caspian dont le trône a été spolié par son oncle.
Voilà comment il est décrit :

"Une souris parlante ! Elle était, naturellement, plus grande qu'une souris ordinaire - mesurant soixante centimètres, quand elle se tenait sur ses pattes arrières - et elle avait des oreilles presque aussi longues (bien que plus larges) que celles d'un lapin. Son nom était Reepicheep ; c'était une souris gaie et martiale qui portait une minuscule rapière à son côté, et tordait ses longues moustaches aussi crânement qu'un vieux capitaine. 
 - Nous sommes douze, Sire, déclara-t-il, en exécutant un salut fougueux et plein de grâce. Et je mets sans réserve toutes les ressources de mon peuple à la disposition de Votre Majesté. 
Caspian fit un grand effort pour ne pas rire (il y parvint), mais il ne put s'empêcher de penser qu'on pourrait très facilement fourrer Reepicheep, et tout son peuple, dans un panier à linge, et les rapporter chez soi sur son dos !"

illustration de Pauline Baynes

Reepicheep et sa troupe de souris sont courageuses et batailleuses : elles désirent toujours prendre d'assaut le château de l'oncle de Caspian. Par ailleurs, Reepicheep a un grand sens de l'honneur : "Sire [déclare-t-il à Caspian] ma vie est toujours à votre disposition, mais mon honneur m'appartient."
Ainsi, à la fin du tome 4, il se trouve déshonoré car il a perdu sa queue. Aslan lui reproche d'être un peu trop préoccupé de son honneur, ce à quoi il réplique :
"Une toute petite taille nous a été impartie à nous, les souris, et que si nous ne veillions pas à faire respecter notre dignité, certains (considérables par leurs centimètres) ne se priveraient pas de faire, à nos dépens, des plaisanteries très déplacées. C'est pourquoi je me suis toujours donné beaucoup de peine pour proclamer que quiconque n'avait pas envie de sentir cette épée aussi près de son coeur que je réussirai à la planter ne devait pas parler en ma présence de pièges, de fromage ou de chandelle."

Pour le récompenser de son courage, et surtout parce que toute sa troupe est prête à sacrifier sa queue pour l'amour de leur général, Aslan lui en offre une nouvelle. Queue ô combien chérie de Reepicheep ! La foi et l'amour qu'il ressentira pour Aslan s'en trouvera décuplée.

Illustration de Jef Murray

Vous allez me dire que tout ceci est très joli, mais quel rapport entre Reepicheep et les rats de mer ?
En fait, dans le tome suivant (L'Odyssée du Passeur d'Aurore) nous retrouvons notre brave souris embarquée sur le navire du Prince Caspian. Il est en quête du Pays d'Aslan, guidé par une berceuse récitée par sa nourrice quand il était souriceau :

"Là où le ciel et la mer se confondent

Là où s'adoucissent la houle et l'onde

Toi, Reepicheep, jamais ne douteras

De trouver ce que tu cherches, là-bas

Car c'est là l'extrême Orient du monde". 

source

Au terme de leur odyssée, ils parviendront aux portes du Pays d'Aslan et Reepicheep sera le seul membre de l'équipage à y entrer. Avant d'y aller, il abandonne sa rapière en la jetant dans la mer. Puis, il embarque dans son canoë (une coquille de noix) et s'aventure sur l'immense vague qui sert de muraille au Pays de son coeur.

Illustration de Jef Murray

Les Chroniques du Monde de Narnia peuvent avoir une double lecture, une interprétation biblique. Dans ce cas, le Pays d'Aslan représente le Paradis, et Reepicheep pourrait incarner le fidèle, celui qui a une foi profonde et est prêt à tout pour gagner la félicité éternelle (en tout honneur et toute dignité).

Reepicheep et Aslan dans le film de Disney