vendredi 29 septembre 2023

Clap(in) de fin !

 Et voilà, c'est la fin de l'Eté lapin !
J'espère que ce tour du monde des lapinous vous aura intéressé autant que moi 😊
 

 
Bien sûr, il resterait beaucoup à dire sur cet inépuisable sujet : les histoires de léporidés sont comme eux, elles se multiplient à l'infini ! 
Voici quelques pistes pour prolonger le thème de cette année...
 

Des livres à lire : 
- Londinium (Agnès Mathieu-Daudé) : les aventures d'Arsène Lapin, détective dans un monde anthropomorphe 
-Le roman du lièvre (Francis Jammes)
- Le lièvre de mon grand-père (Alexandre Dumas)
- La Forteresse des lapins (Linda Zuckerman) 
- Le Lapin de Velours ( Margery Williams) (le lien est en anglais) : l'histoire célèbre d'un lapin en peluche
Les lapins chantent dans le noir (Klaus Hagerup) : une version moderne et norvégienne d'Alice au Pays des Merveille
 

Des images à admirer :
- Iconographie très fournie sur le site de la cuniculture 
- Des statues dans le monde entier
 
Des poésies à méditer :
Quelle place est donnée au lapin dans Le Bestiaire d'Orphée (Apollinaire) et Après le Déluge (Arthu Rimbaud)  ?
 

Une performance théâtrale moderne à explorer :  Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort par Joseph Beuys
 
Une démonstration philosophique-sociétale pour réfléchir : Les deux chiens de Lycurgue, par Plutarque.
 
Une vidéo documentaire à regarder 
 
Une chanson à écouter : La Compagnie des Lapins Bleus, personnages emblématiques du spectacle d'Emilie Jolie. 
 

Un problème mathématiques pour se creuser les méninges : La suite de Fibonacci.  Posée au XIIIe siècle ce problème dit : « Quelqu’un a déposé un couple de lapins dans un certain lieu, clos de toutes parts, pour savoir combien de couples seraient issus de cette paire en une année, car il est dans leur nature de générer un autre couple en un seul mois, et qu’ils enfantent dans le second mois après leur naissance. »
 

Et voilà, à vous de me donner vos propres pistes pour poursuivre cet Eté lapin à l'infini ! 
Je vous laisse quelques jours pour finir de lire les articles... puis : attention au test !!! 😋 

mercredi 27 septembre 2023

Léporidés pas comme les autres

 Nous avons beaucoup parlé de lièvres plus ou moins "ordinaires" cet Eté. Pour finir, je vous propose de découvrir quelques créatures fantastiques venues de tous les horizons.
Dans les histoires naturelles, dans le folklore ou dans les récits, on a pu voir ou entendre la description de lapins extravagants... Bienvenue dans le petit cabinet de curiosité des léporidés !

1/ Le lapin à capuchon
Commençons par le lapin à capuchon (ou "hooded rabbit" en anglais). Ce lapin, selon les descriptions, possède une sorte de poche dorsale où il peut ranger ses oreilles et même sa tête. Des petits trous permettent de laisser passer la lumière : ainsi le lapin peut jeter des coups d'oeil au dehors sans avoir à sortir la tête. Une autre poche ventrale lui permet de ranger ses pattes palmées. Heu, on nous parle d'un lapin ou d'une tortue, là ?
 
Description du "hooded rabbit" dans An universal system of natural history d'Ebenezer Sibly (1794)

Gravure pour ce même livre

 
Et voilà le lapin replié ! (gravure de John Pass, 1813)

2/ Al-Mi'raj, le lapin-licorne
Ce lapin est mentionné notamment dans les manuscrits islamiques médiévaux : il s'agit d'un lapin jaune doté d'une corne noire. Tous les animaux sauvages fuient devant lui.  Il serait très grand et aurait un appétit énorme. Les habitants d'une prénommée "Île au Serpent/Dragon", dans l'Océan Indien, en aurait offert un à Alexandre le Grand après qu'il ait tué le dragon qui dévorait leur bétail.

Manuscrit du XIIIe s.
 
Les Merveilles de la création par 'Al-Qazwînî, manuscrit du XIIIe s.
 
Cette croyance en un lapin-licorne a pu apparaître et rester vivace quand on voyait des lapins qui n'avaient qu'une seule oreille.
 
3/Lepus cornutus 
Un lièvre cornu avec deux cornes cette fois
Il est décrit dans les ouvrages de sciences naturelles depuis au moins le XVIe s. Il en existe de nombreuses variantes :
 
Gravure du XVIe siècle où on voit, au centre, un lapin cornu (et en haut une sorte de lapin-écureuil)

Au pied du tableau de la Vierge à l'Enfant par Jan Brueghel (XVIIe s.), on aperçoit un lièvre cornu

Détail


 a) Le Wolpertinger / Oibadrischl/Rammeschucksn /Raurackl  (selon la région). Animal des Alpes bavaroises qu'on connaît depuis le XVIe s. De la taille d'un lièvre, il porte des bois de cerf, des ailes (de canard ou de faisan), des crocs de renard et une crête de coq. Attention : il se repaît de touristes égarés... 

Un Wolpertinger "fabriqué" à partir de la peinture du Lièvre de Dürer (XVIe s.)


b) Le Jackalope (ou Lepus antilocapra), mélange de lièvre américain (jackrabbit) et d'antilope. Parfois aussi surnommé Buckjeuve (Cerf-lapin) ou Horny Bunny (Lapin Cornu), cet animal est un mélange de cerf et de lièvre répandu en Amérique. Très farouche, il est difficile à voir. En revanche, on peut l'entendre : les cow-boys qui chantaient jadis autour du feu percevaient parfois une voix qui répétait les paroles entonnées... c'est que le jackalope sait imiter la voix humaine !


c)Le rasselbock : Un lièvre avec des petites cornes et des grandes dents, qui vit en Allemagne.


Différents lapins cornus par Camille Renversade

Regardez la planche ci-dessus. Au-dessus, une image est décrite comme "Lièvres à cornes multiples, sans doute des faux fabriqués par un taxidermiste". L'artiste est ironique, ici. En réalité, il se pourrait bien que les lièvres cornus aient été inspirés par une maladie : un papillomavirus qui provoque des excroissances sur les crânes des lapins touchés. Quant aux lièvres empaillés qui portent "véritablement" des cornes de cerfs sur les trophées , il s'agit, au contraire de canulards et chimères taxidermistes.

4) Un lapin ailé : le Lagopus
Vous vous souvenez du Tsufulin ? Voilà un de ses voisins, le Lagopus, dont parle l'écrivain romain Pline dans son Histoire naturelle au Ier siècle. Il dit que le Lagopus (="pied de lièvre"), qui vit dans les contrées d'Europe du Nord, s'appelle ainsi car il a les pattes poilues comme celles d'un lièvre et non couvertes de duvet. A partir de ce nom, les lecteurs médiévaux ont pensé que Pline ne parlait pas du lagopède (qui est bel et bien un oiseau), mais bien d'une sorte d'oiseau-lapin.

Gravure pour une version imprimée allemande du livre de Pline au XVIe s.


 
5) Autre lapin ailé : le Skavder
On pourrait traduire le nom de cet animal par Charlatras, mélange de "charlatant" (skvattra en suédois)  et "tétras" (tjäder en suédois). Le seul à avoir réussi à chasser cette créature à corps de lièvre, ailes et queue de tétras est le Suédois Håkan Dahlmark. Pour le féliciter, ses amis lui en ont offert une version naturalisée par  le taxidermiste Rudolf Granberg en 1907.
 
Skvader de Rudolf Granberg

6) Le lièvre à 8 pattes
Ce lièvre est décrit dès le XVIIe s., selon certaines sources il vivrait dans la forêt de Rambouillet. Il n'a pas 8 pattes d'araignées : 4 sont placées normalement, sous le ventre... et 4 sont situées sur le dos ! En outre, selon certaines description, il a aussi 4 oreilles au lieu de 2, et parfois 2 corps au lieu d'un seul. Un lièvre siamois ?
 
Représentation dans le Traité sur les Monstres de Licetti (XVIe s.)
 
Par ailleurs, dans le roman Aventures du baron de Münchhausen (1785) qui narre les exploits d'un officier allemand fanfaron, celui-ci se targue d'avoir un jour chassé un tel lièvre : 
"Je m’acharnais depuis deux jours à la poursuite d’un lièvre. Ma chienne le ramenait toujours et je ne parvenais jamais à le tirer. Je ne crois pas à la sorcellerie, j’ai vu trop de choses extraordinaires pour cela, mais j’avoue que je perdais mon latin avec ce maudit lièvre. Enfin je l’atteignis si près que je le touchais du bout de mon fusil : il culbuta, et que pensez-vous, messieurs, que je trouvai ? — Mon lièvre avait quatre pattes au ventre et quatre autres sur le dos. Lorsque les deux paires de dessous étaient fatiguées, il se retournait comme un nageur habile qui fait alternativement la coupe et la planche, et il repartait de plus belle avec ses deux paires fraîches."
 
Avoir 8 pattes au lieu de 4 permet donc au lièvre de courir deux fois plus vite ! 


Le lièvre à 8 pattes du Baron dans un dessin-animé de 1978


 
5)Ipès : une drôle de effrayante chimère
Voici maintenant un démon, ainsi décrit dans le Dictionnaire Infernal de Collin de Plancy au XIXe s :
Prince et comte de l’enfer ; il apparaît sous la forme d’un ange, quelquefois sous celle d’un lion, avec la tête et les pattes d’une oie et une queue de lièvre, ce qui est un peu court ; il connaît le passé et l’avenir, donne du génie et de l’audace aux hommes, et commande trente-six légions.


6) Lapondin : mariage de la carpe et du lapin
Evidemment, les manuscrits médiévaux abondent de lapins chimériques : ici un lapin-sirène... ou lapondin


8/ Énorme terreur des potagers : le lapin-garou
Variante du loup-garou, ce lapin monstrueux qui se manifeste à la lueur de la Lune est très redouté par les jardiniers : il dévaste les potagers et dévore tous les légumes, même les mieux protégés. 
Les célèbres inventeurs Wallace et Gromit sont connus pour l'avoir affronté.



9) Le Goublin
Le Goublin, variante du Gobelin, lutin farceur de la maison plus ou moins maléfique, apparaît sous les traits d'un lièvre au Val-Ferrant en Normandie. Il venait se chauffer près du feu quand on mettait à cuire des patates sous la cendre ou qu'on faisait cuire de la viande dans l'âtre. Quand on confectionnait le pain, il ne fallait pas oublier de lui laisser une galette dehors si on ne voulait pas subir 15 jours de raffut en représailles. 
Le Goublin est représenté avec de grandes oreilles, mi-lapin, mi-chat, dans la série Runes.
 



10) Trop mignon : le Cabbit
Et voici maintenant le très choupinou cabbit, moitié chat (cat), moitié lapin (rabbit). Un hybride intéressant, animal de compagnie de demain, déjà très en vogue (mais hors de prix pour le moment).
 
(source)
 
Tout comme le lapin et le chat, le cabbit est très propre. Il saute deux fois plus haut qu'un chat ordinaire, ce qui n'est pas rien ! Son ouïe est très développé. Son côté chat lui a donné du courage : il ne fuit plus pour un rien. Il dort perché dans les arbres, à moins qu'il préfère s'aménager un petit terrier sous une couette. Il se nourrit à la fois de souris, de trèfles et de carottes. En revanche, j'ignore s'il sait ronronner.


mardi 26 septembre 2023

Le lièvre lunaire

Nous avons pu l'évoquer au cours de l'Eté, lièvre et lapin, en tant qu'animaux nocturnes, ont souvent été associés à la Lune. Le côté nocturne de notre ami grandes oreilles l'a rattaché au monde des sorcières, mais l'a aussi lié à diverses figures et légendes lunaires. Vous vous souvenez peut-être qu'il est lié à cet élément dans l'Alchimie mais aussi dans des oeuvres plus récentes, comme dans Watership Down où l'on retrouve le Lapin Noir d'Inlè, déesse de la Lune et de la Mort. 
 
Or, dans de nombreuses civilisations, on a remarqué que les taches de la Pleine Lune forment la silhouette d'un lièvre... voire d'un lièvre portant un pilon. 
Nous avons déjà mentionné cette illusion avec la mythologie celte : selon certaines légendes, Eostre aurait gravé l'image d'un lièvre dans la Lune. Nous l'avons retrouvé avec la mythologie Aztèque et une fable du Panchatantra.
Des histoires similaires se retrouvent de par le monde. Partons à la découverte de ces lièvres lunaires ! 
 
Différentes silhouettes de lapins dans la Lune... Choisissez la vôtre ! (source)

Au Japon, on le nomme Tsukino Usagi. La légende rapporte qu'un beau jour, l'Homme de la Lune quitta son astre pour voir ce qui se passait sur la Terre. Il se déguisa en mendiant pour passer inaperçu. Il rencontra un renard (ou un chacal), une loutre (ou un singe) et un lièvre, à qui il prétendit avoir très faim et demanda l'aumône. Le renard lui apporta de la viande, la loutre lui pêcha du poisson (ou le singe lui cueillit des fruits), mais le lièvre n'avait que de l'herbe à offrir... Ce dernier pria le mendiant d'allumer un grand feu, dans lequel il se jeta pour lui offrir sa chair. 
Emu par tant de générosité, le faux mendiant retourna sur la Lune en emmenant le corps du lièvre avec lui, afin de lui redonner la vie. Depuis, on peut encore voir l'animal ressuscité là-haut, en train de battre de la pâte à mochi dans un mortier (si vous ne le savez pas, les mochi sont des friandises japonaises en forme de boulettes de riz gluant avec un coeur fourré). 
 
Illustration de l'artiste japonais Gyokuho Kojima (XXe s.)

 
Quant à la Lune, elle est restée grise depuis que la fumée du feu allumé cette nuit-là a recouvert son disque...
 
Dans la version bouddhiste de cette légende,  l'Homme de la Lune est Śakra (une divinité majeure) voire Bouddha lui-même. 
 
Au Cambodge, ce lièvre s'appelle Pothisat.
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Une version connue en Kalmoulkie (république Russe majoritairement bouddhiste) fait de ce lièvre sacrifié un génie nommé Sakimouni. On peut lire dans le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy
Il habitait le corps d’un lièvre ; il rencontra un homme qui mourait de faim, il se laissa prendre pour satisfaire l’appétit de ce malheureux. L’esprit de la terre, satisfait de cette belle action, plaça aussitôt l’âme de ce lièvre dans la lune, où les Kalmouks prétendent la découvrir encore
 
Illustration de Louis Le Breton

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Pour l'anecdote, en 1977, le chanteur italien Angelo Branduardi a composé une chanson à partir de cette légende (mais ici, le lièvre est trompé par les autres animaux).
 


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Une autre légende japonaise raconte que la Lune croit et décroit en même temps qu'un lièvre qui change de pelage.
On dit a aussi au Japon : "Lorsque la Lune flotte sur l'Océan, un lapin blanc saute dans les vagues"

(source inconnue)


 
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Dans la mythologie chinoise (notamment dans le taoïsme) on dit que Chang'e, déesse de la Lune vit dans son palais céleste en compagnie d'un apprenti, d'un crapaud et d'un Lièvre de Jade. L'apprenti s'échine à couper sans cesse un cannelier qui pousse continuellement, le lièvre de jade prépare une potion dans son mortier, aidé par le crapaud. 
 
Miroir de la dynastie Tang (entre le VIIe et le Xe s.) où on peut voir l'apprenti (à gauche) coupeur du cannelier (au centre), le lièvre (à droite) et le crapaud (en bas)

Le lièvre apothicaire prépare un élixir de longue vie, panacée universelle capable de guérir toutes les maladies (le crapaud, selon certains, représenterait ce remède miraculeux, sorte de pierre philosophale). Le lièvre, aux côtés de l'apprenti qui coupe son cannelier depuis la nuit des temps, représente un symbole d'éternité.
 
Motif d'une robe impériale chinoise du XVIIIe s.

 
On trouve une légende semblable dans la mythologie vietnamienne où le lièvre accompagne la déesse  Hằng Nga.
 
Déesse de la Lune et lièvres par l'artiste japonais Kimpōdō  (vers 1830)


Dans le folklore coréen, le lièvre lunaire prépare non pas des mochi ou un élixir de longue vie mais des gâteaux de riz. 

Dans un épisode du Voyage vers l'Ouest, un roman chinois du XVIe s., le fripon Songoku, sorte de dieu-singe déchu, pourchasse le Lièvre de Jade.
Songoku contre le Lièvre de Jade par Yoshistoshi (fin XIXe s.)

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Dans ces différents cultures asiatiques qui placent le lièvre dans la Lune, a lieu un Festival de la Lune à la Mi-Automne. Il se tient le 15e jour du 8e mois lunaire selon le calendrier chinois, ce qui équivaut plus ou moins au Solstice d'Automne (en fait la première Pleine Lune d'Automne puisque cette fête a lieu pendant la Pleine Lune). 
 
(source)

Pendant cette fête en Chine et à Taïwan (Moon Festival), célébrée depuis au moins 3000 ans, on allume des lanternes, on offre des cadeaux aux enfants et on mange des mooncakes (gâteaux en forme de pleine lune décorés, avec une croute aux graines de lotus fourrés à la pâte d'haricots rouges). 
 
Au Japon, lors de la Lune des Récoltes (Harvest Moon), on célèbre Jūgoya ("la 15e nuit"), pendant laquelle on se met dans l'état d'esprit dit (O)tskukimi, c'est-à-dire "la contemplation de la Lune". Cette fête traditionnelle a pris sa source dans un Japon poétique, qui accorde une grande importance à la contemplation de la nature. On mange (et on offre aux divinités) des patates douces et du taro (un autre tubercule très répandu dans la cuisine japonaise)... et des mochi, bien sûr !
 
 
En Corée, on fête Chuseok ("la veillée d'Automne") ou Hangawi ("le milieu de l'Automne"). Au cours de cette fête, on s'adonne à trois rituels qui consistent à rendre hommage aux ancêtres : le Charye (honorer ses ancêtres chez soi), le Seongmyo (on visite les tombes des ancêtres), et enfin le Beolcho (on nettoie les sépultures, on les désherbe). Lors de ce festival qui rappelle un peu notre Toussaint, on mange des gâteaux de riz traditionnels, en particulier des songpyeon (en forme de demi-Lune) et des hangwa. 
 
(source)

 
 
Au Vietnam on fête le Tết Trung Thu ("Milieu d'Automne") aussi surnommé Festival des Enfants car ils sont au centre des festivités. On offre des cadeaux au plus jeunes : des lampions en forme d'étoile, des masques et des  tò he (des figurines en amidon de riz qui peuvent être utilisées pour jouer ou être mangées). Les enfants chantent et on organise des danses de lion ou de dragons (vous savez, quand les danseurs se cachent sous un costume de dragon ou de lion et défilent dans les rues en ondulant).
 
(source)

 
Au Cambodge, on célèbre Bon Om Touk ("Le festival des Courses nautiques"). On y assiste à des défilés de bateaux illuminés et, ce qui nous intéresse, on organise le Sampeah Preah Khae ("la salutation de la Lune") : on fait des offrandes de fruits qui plaisent aux lapins, on allume des lanternes sur les pagodes et les maisons, on admire la Pleine Lune et on formule des voeux en se rappelant la générosité de Pothisat.
A Singapour, en Malaisie ou en Indonésie, on organise aussi des Festival de Lanternes (pour rappeler la lumière de la Lune)

 
***
En France, le lapin aussi est associé à la Lune puisque dans une version d'Au Clair de la Lune apparut à partir de 1870, les paroles ordinaires sont remplacées par ce couplet : 
 Au clair de la Lune
Trois petits lapins
Qui mangeaient des prunes
Au fond du jardin,
La pipe à la bouche,
Le verre à la main,
En disant : « Mesdames !
Servez-nous du vin ! » 
 
Illustration de Monique Palomares

Conclusion : 
Dans les différentes mythologies, et particulièrement en Asie, le lièvre, mis en rapport avec la Lune, reste un symbole fort de fécondité, de renouveau, de renaissance et d'éternité. Il est souvent associé à un met traditionnel ou magique : l'aliment représente ici la source de la vie, la source d'énergie.
Le lièvre est représenté sur la Lune : il s'agit d'un grand  hommage qu'on lui a rendu en échange d'une action honorable, ou parce qu'il s'agit d'un animal digne d'éloge. Dans tous les cas, on est loin de l'image du lièvre couard ou (pire encore) du lièvre démoniaque
 
Pour creuser le sujet, vous pouvez écouter cette émission.

lundi 25 septembre 2023

Le(s) lièvre(s) d'Inaba

 Au Japon, deux légendes liées à un lièvre sont nées dans l'ancienne province d'Inaba (aujourd'hui Totori). 

1ère histoire  : Amaterasu et le lièvre
 
Il y a bien longtemps, la déesse du Soleil Amaterasu voyageait dans la province d'Inaba et recherchait un lieu pour installer une retraite provisoire. Soudain, un lièvre blanc apparut et attrapa un pan de son vêtement entre ses dents. Il la conduisit jusqu'à un point abrité entre deux montagnes, près de la mer, parfait pour bâtir un palais de villégiature. 
Aujourd'hui, ce lieu est celui du sanctuaire Hakuto-Jinja. où on révère les lièvres blancs. 
 
Illustration d'Anastasia Izlesou pour le livre Leap, hare, leap de Dom Conlon

 ***

2ème histoire : Ōkuninushi et le lièvre nu
 
La deuxième légende met en scène Ōkuninushi, un kami (i.e. une divinité vénérée dans la religion shintoïste), et plus précisément le kami de l'agriculture, de la médecine et de la fécondité. Sa légende est transcrite dans le Kojiki, un livre de contes et de mythes japonais datant du VIIIe s.
 
Ōkuninushi  est le dernier garçon d'une grande fratrie : il a 80 frères plus âgés. Un jour, la princesse Yakami d'Inaba fit savoir qu'elle recherchait un époux. Tous les frères se mirent en route pour lui demander sa main. Ōkuninushi  fut du voyage lui aussi, même si ses aînés ne voyaient pas d'un bon œil sa venue. Ils lui donnèrent tous leurs bagages à porter, de sorte qu'Ōkuninushi, chargé, traînait derrière eux alors qu'ils avançaient rapidement en toute légèreté. Les 80 frères trouvèrent sur leur chemin un lièvre tout nu : sa fourrure était arrachée et sa peau à vif. L'animal était bien mal en point, mais comme les frères étaient mesquins, ils lui conseillèrent de se baigner dans l'eau de mer et de se sécher au vent pour se sentir mieux. Bien entendu, ce remède ne soigna pas vraiment le pauvre lièvre !
 
Illustration d'un livre anglais de 1892
 Arriva alors Ōkuninushi. Plus gentil que ses frères, le garçon demanda au lièvre quel malheur il lui était arrivé. 
 
Illustration d'un livre anglais de 1892

 
Celui-ci raconta qu'il avait voulu visiter la région mais il ne pouvait franchir la mer entre les îles d'Oki et la Côte d'Hakuto (dans la région d'Inaba). C'est alors que le lièvre remarqua des wanizame (des dragons d'eau, des crocodiles ou des requins) et inventa une ruse : il prétendit que les lièvres étaient plus nombreux que les wanizame et que si ceux-ci ne le croyait pas, l'oreillard se ferait un plaisir de les compter pour vérifier. 
 
Illustration d'un livre anglais de 1892
 
Un peu vexés de se savoir en sous-effectif, les wanizame se mirent en rang le long de la mer. Le rusé sauta de dos en dos en feignant de les compter : en vérité, il  en profitait pour traverser sans se mouiller.
 
Illustration d'un livre anglais de 1892


Illustration de Kureha Rokuro (1943)

 Quand il arriva à la Côte d'Hakuto, satisfait de lui-même, le malin se moqua des wanizame qui étaient tombés dans son traquenard. Furieux, le dernier wanizame parvint à l'attraper et à lui arracher la peau avant que le lièvre ne s'échappe...
 
Illustration d'un livre anglais de 1892

Quand Ōkuninushi entendit cette histoire, il eut de la peine pour le lièvre. Il conduisit le blessé jusqu'à une source d'eau claire pour qu'il y baigne ses blessures et lui conseilla de se rouler dans le pollen cotonneux des massettes qui poussaient là. 
 
Illustration d'un livre anglais de 1892
 
Pour le remercier de sa bonté et de ses bons conseils, le lièvre lui promit qu'aucun de ses frères n'obtiendrait la main de la Princesse Yakami : c'est Ōkuninushi qui l'épouserait
 
Si vous en avez le temps (une petite dizaine de minutes) je vous propose de regarder ce dessin-animé japonais réalisé par  Mitsuyo Seo en 1935. Cette vidéo est disponible sur Wikimedia, mais je vous ai ajouter des sous-titre français si besoin (même si elle reste compréhensible sans 😉)
 

Dans ce dessin-animé, de même que dans certaines versions de la légende, le lièvre doit sauter sur le dos des crocodiles suite à une tempête (ou une inondation), et non par désir de voyage. Par ailleurs, ça se termine plutôt mal pour lui : sans fourrure, il est rejeté par les siens et aucun héros ne lui vient en aide... 
Remarquez que les dessins ressemblent beaucoup à ceux de Disney à la même époque.
 
***
Vous noterez que ce mythe reprend des symboles forts liés au lièvre : la fécondité (via la figure d'Ōkuninushi) et l'amour (le mariage d'Ōkuninushi avec la princesse, grâce à l'intervention magique du lièvre), la ruse (qu'on retrouve dans le lièvre d'Afrique par exemple), la renaissance (puisque le lièvre fait peau neuve).
 
Illustration d'Katsushika Hokusai (XIXe s.)

 

 ***
En raison de ces deux légendes, on révère les lièvres blancs au sanctuaire Hakuto-Jinja, sur la côte d'Hakuto.


Entrée du sanctuaire d'Hakuto (source)


Photo d'Audrey Bourdin
Les cailloux blancs aux pieds des statues de lièvre sont autant de voeux formulés par les fidèles. le lièvre d'Inaba est surtout réputé pour guérir les maladies de peau et apporte son aide en amour

Photo d'Audrey Bourdin
Ici le mur des voeux du sanctuaire