Vous le savez, hormis la fable, un autre genre littéraire prend son essor au XVIIe siècle : le conte de fées. De grands folkloristes recueillent les contes populaires et les compilent dans des ouvrages : voilà le travail auquel s'attellent par exemple les frères Grimm en Allemagne, Charles Perrault en France, Hans Christian Andersen au Danemark, Jørgen Moe et Peter Christen Asbjørnsen en Norvège, Antoine Galland pour les Mille et une Nuit... D'autres, notamment des femmes, inventent de nouvelles histoires à partir de ces éléments : Mme Leprince de Beaumont, Mme d'Aulnoy... etc.
Voyons un peu quelle place occupe le lapin dans les contes de fées. (Cliquez sur les titres pour lire les contes en entier)
La Fiancée du Petit Lapin, recueilli par les frères Grimm (que nous avions évoqué l'an dernier pendant l'Eté corbeau) parle d'une femme et de sa fille, dont les choux du potager sont grignotés par un lapin. La mère envoie la fillette chasser le lapin, mais celui-ci persiste : "Viens, fillette, dit le lapin, mets-toi sur ma queue de petit lapin et suis-moi dans ma chaumière de petit lapin." Pendant trois jours il lui sert cette réponse jusqu'à ce que la petite cède et grimpe sur sa queue. Arrivés dans la chaumière du lapin, celui-ci organise leurs noces et invité tous les animaux de la forêt. Les convives sont bien joyeux, sauf la fiancée qui est si triste et se sent si peu à sa place qu'elle finit par fabriquer une poupée de paille pour laisser à sa place et à s'enfuir pour rentrer chez elle.
Dans Les Coureurs d'Ansersen, le lièvre a remporté le premier prix d'une course. ça lui paraît normal d'avoir gagné, toutefois il ne comprend pas que les juges aient donné la deuxième place à l'escargot.
Mais celui-ci réplique : "Je sais une chose: ce qui faisait courir le lièvre comme un dératé, c'est la pure couardise; partout, il voit des ennemis et du danger. Moi, au contraire, j'ai choisi la course comme but de ma vie"
En fait, au fil du conte, on comprend que les juges ne sont pas si impartiales que ça !
Ainsi, voilà sur quoi s'est basé la vieille borne :
"Cette fois, comme nous étions le 12 du mois, j'ai suivi les lettres de l'alphabet depuis l'a, et j'ai compté jusqu'à douze; j'étais arrivé à l: C'était donc au lièvre que revenait le premier prix. Quant au second, j'ai recommencé mon petit manège; et, comme il était trois heures au moment du vote, je me suis arrêté au c et j'ai donné mon suffrage au colimaçon."
Quant au mulet, il s'est basé sur la beauté du lièvre et sur son apparence qui le fait ressembler à un ânon : "Or qu'y a-t-il au monde de plus beau que les longues oreilles du lièvre, si mobiles, si flexibles? C'est un vrai plaisir que de les voir retomber jusqu'au milieu du dos; il me semblait que je me revoyais tel que j'étais aux jours de ma plus tendre enfance"
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Le lièvre et le hérisson, des frères Grimm présente aussi le lièvre comme un coureur rapide. Il s'agit d'une variante d'un conte répandu de part le monde : un animal rapide et un animal lent se battent à la course. Le rapide (ici le lièvre) court comme un fou jusqu'à la ligne d'arrivée. Le lent (ici le hérisson) a demandé à un confrère de se placer à la ligne d'arrivée à sa place : dupé le rapide croit que le lent a couru plus vite que lui et demande à recommencer... et recommencer... et recommencer... jusqu'à ce qu'il meure d'épuisement alors que l'animal lent n'a pas bougé d'un pouce: il a gagné car il s'est montré rusé.
(Quand j'étais petite, dans un livre de contes d'Haïti, je lisais une version qui remplaçait le lièvre et le hérisson par un cheval et des escargots)
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Dans Le Griffon de Grimm, le héros doit accomplir diverses tâches pour qu'un roi accepte de lui céder la main de sa fille. Parmi ces épreuves, il doit garder un troupeau de cent lièvres sans en perdre un seul pendant toute une journée. Il y parvient grâce à l'aide d'un farfadet qui lui donne un sifflet magique, destiné à rappeler les lièvres vagabonds.
Le même motif se retrouve dans Le Panier de Pêches d'Adolphe Orrain (un folkloriste breton).
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Les Sept Souabes (encore de Grimm) nous parle de sept compagnons qui décident de quitter leur Souabe natale (une région dans le Sud-Ouest de l'Allemagne) pour découvrir le monde. Mais ceux sont sept couards qui ont peur de tout : d'une mouche, d'un scarabée ou d'un frelon, d'un râteau et bien plus effrayant encore, d'un lièvre qui "dormait au soleil, oreilles pointées et ses yeux vitreux grands ouverts. À la vue de cette bête effrayante et sauvage, ils prirent peur et tinrent conseil pour savoir ce qu'ils allaient faire et quelle était la conduite la moins dangereuse à suivre. Car s'ils se mettaient à fuir, il était à craindre que le monstre les suivît et les avalât avec la peau et les os".
Les Sept Souabes l'affrontent comme s'il s'agissait d'un dragon, mais ils causent tant de tintouin en se préparant et en criant des cris de guerre que le lièvre se réveille, prend peur et détale.
Ce conte, assez peu connu en France, tire probablement son origine de railleries de voisinage, qu'auraient adressées les autres régions frontalières de la Souabe, notamment la Bavière. On trouve des mentions de 7 ou 9 Souabes couards dès le XIVe s. dans des dictons, des chansons... etc. Aujourd'hui, cette histoire est toujours vivace : en Souabe, lors des Narrensprung (défilé de fous pendant Carnaval), il n'est pas rare de voir des hommes déguisés en sept Souabes poursuivre un lapin.
(Source) |
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Dans Gnaste et ses trois fils (Grimm encore), un conte très court, on assiste à des événements invraisemblables : c'est l'histoire de trois frères, l'un aveugle, l'autre paralytique et le dernier nu comme un vers. Un jour, "ils aperçurent un lièvre que l’aveugle tira, que le paralytique ramassa et que le nu comme un ver mis dans sa poche" Si ces miracles ne sont pas signes que ce lièvre était merveilleux, je ne sais pas à quoi ils riment !
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Au début du Prince Chéri, par Mme Leprince de Beaumont, un Roi parti à la chasse sauve un petit lapin blanc que ses chiens allaient tuer. Il le ramène chez lui pour le soigner. La nuit, le lapin se transforme en fée, laquelle explique qu'elle avait pris cette forme pour voir si le Roi avait le coeur bon. Comme tel est le cas, elle exauce un de ses souhaits.
(On voit que bien des années après la fin de la culture celte, le lien entre fée et lapin reste vivace !)
source |
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Les Trois Frères (de Grimm), raconte l'histoire d'un homme qui veut léguer sa fortune au plus méritant de ses trois fils. Chacun part en apprentissage pour cultiver ses talents. Quand ils reviennent pour revendiquer leur héritage, l'un d'eux est devenu barbier.
"Il vint à passer un lièvre courant dans la plaine. « Parbleu, dit le barbier, celui-ci vient comme marée en carême. » Saisissant son plat à barbe et son savon, il prépara de la mousse jusqu'à ce que l'animal fut tout près, et, courant après lui, il le savonna à la course et lui rasa la moustache sans l'arrêter, sans le couper le moins du monde ni lui déranger un poil sur le reste du corps."
Ici, le lièvre montre combien le garçon est rapide et efficace dans son métier !
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Dans Pinocchio de Carlo Collodi, les lapins apparaissent comme des émissaires de la mort. Ainsi, un jour où Pinocchio refuse de prendre un médicament qui est censé le guérir, "la porte de la chambre s’ouvrit toute grande, et entrèrent quatre Lapins, noirs comme l’encre, portant sur leurs épaules un petit cercueil.
— Que me voulez-vous ? cria Pinocchio en se redressant sur son lit, épouvanté.
— Nous venons te chercher, répondit le plus gros des Lapins.
— Me chercher ?... Mais je ne suis pas encore mort !...
— Pas encore, mais il ne te reste plus que quelques minutes à vivre puisque tu as refusé de prendre le médicament qui t’aurait guéri de la fièvre !...
— Ô ma Fée, ma bonne Fée, se mit alors à crier Pinocchio, donnez-moi tout de suite ce verre !... Dépêchez-vous, par pitié, je ne veux pas mourir, non… je ne veux pas mourir...
Et il prit le verre à deux mains et le vida d’un trait.
— Dommage ! dirent les Lapins. Cette fois, nous aurons fait le voyage pour rien.
Et, remettant le cercueil sur leurs épaules, ils sortirent de la chambre en grommelant entre leurs dents"
— Que me voulez-vous ? cria Pinocchio en se redressant sur son lit, épouvanté.
— Nous venons te chercher, répondit le plus gros des Lapins.
— Me chercher ?... Mais je ne suis pas encore mort !...
— Pas encore, mais il ne te reste plus que quelques minutes à vivre puisque tu as refusé de prendre le médicament qui t’aurait guéri de la fièvre !...
— Ô ma Fée, ma bonne Fée, se mit alors à crier Pinocchio, donnez-moi tout de suite ce verre !... Dépêchez-vous, par pitié, je ne veux pas mourir, non… je ne veux pas mourir...
Et il prit le verre à deux mains et le vida d’un trait.
— Dommage ! dirent les Lapins. Cette fois, nous aurons fait le voyage pour rien.
Et, remettant le cercueil sur leurs épaules, ils sortirent de la chambre en grommelant entre leurs dents"
Véritables hérauts de la mort ou mascarade ? Toujours est-il que grâce à eux, Pinocchio se montre obéissant.
Pour finir, dans Rumplestiltskin (de Grimm) on trouve une charmante expression pour décrire la lisière de la forêt : wo Fuchs und Has sich gute Nacht sagen c'est à dire "où le Renard et le Lièvre se disent bonsoir". C'est joliment dit, non ?
Par ailleurs, pour moi, lapins et conte riment avec Chat Botté (de Perrault) : ce sont bien des lapins que le malicieux chat attrape pour en faire don au Roi, de la part de son maître le "Marquis de Carrabas"
Sur cette illustration de Carl Offterdinger (XIXe s.), le chat ruse pour endormir la prudence des lapins |
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