Nous avons pu l'évoquer au cours de l'Eté, lièvre et lapin, en tant qu'animaux nocturnes, ont souvent été associés à la Lune. Le côté nocturne de notre ami grandes oreilles l'a rattaché au monde des sorcières, mais l'a aussi lié à diverses figures et légendes lunaires. Vous vous souvenez peut-être qu'il est lié à cet élément dans l'Alchimie mais aussi dans des oeuvres plus récentes, comme dans Watership Down où l'on retrouve le Lapin Noir d'Inlè, déesse de la Lune et de la Mort.
Or, dans de nombreuses civilisations, on a remarqué que les taches de la Pleine Lune forment la silhouette d'un lièvre... voire d'un lièvre portant un pilon.
Nous avons déjà mentionné cette illusion avec la mythologie celte : selon certaines légendes, Eostre aurait gravé l'image d'un lièvre dans la Lune. Nous l'avons retrouvé avec la mythologie Aztèque et une fable du Panchatantra.
Des histoires similaires se retrouvent de par le monde. Partons à la découverte de ces lièvres lunaires !
Différentes silhouettes de lapins dans la Lune... Choisissez la vôtre ! (source) |
Au Japon, on le nomme Tsukino Usagi. La légende rapporte qu'un beau jour, l'Homme de la Lune quitta son astre pour voir ce qui se passait sur la Terre. Il se déguisa en mendiant pour passer inaperçu. Il rencontra un renard (ou un chacal), une loutre (ou un singe) et un lièvre, à qui il prétendit avoir très faim et demanda l'aumône. Le renard lui apporta de la viande, la loutre lui pêcha du poisson (ou le singe lui cueillit des fruits), mais le lièvre n'avait que de l'herbe à offrir... Ce dernier pria le mendiant d'allumer un grand feu, dans lequel il se jeta pour lui offrir sa chair.
Emu par tant de générosité, le faux mendiant retourna sur la Lune en emmenant le corps du lièvre avec lui, afin de lui redonner la vie. Depuis, on peut encore voir l'animal ressuscité là-haut, en train de battre de la pâte à mochi dans un mortier (si vous ne le savez pas, les mochi sont des friandises japonaises en forme de boulettes de riz gluant avec un coeur fourré).
Illustration de l'artiste japonais Gyokuho Kojima (XXe s.) |
Quant à la Lune, elle est restée grise depuis que la fumée du feu allumé cette nuit-là a recouvert son disque...
Dans la version bouddhiste de cette légende, l'Homme de la Lune est Śakra (une divinité majeure) voire Bouddha lui-même.
Au Cambodge, ce lièvre s'appelle Pothisat.
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Une version connue en Kalmoulkie (république Russe majoritairement bouddhiste) fait de ce lièvre sacrifié un génie nommé Sakimouni. On peut lire dans le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy :
Il habitait le corps d’un lièvre ; il rencontra un homme qui mourait de faim, il se laissa prendre pour satisfaire l’appétit de ce malheureux. L’esprit de la terre, satisfait de cette belle action, plaça aussitôt l’âme de ce lièvre dans la lune, où les Kalmouks prétendent la découvrir encore
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Pour l'anecdote, en 1977, le chanteur italien Angelo Branduardi a composé une chanson à partir de cette légende (mais ici, le lièvre est trompé par les autres animaux).
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Une autre légende japonaise raconte que la Lune croit et décroit en même temps qu'un lièvre qui change de pelage.
On dit a aussi au Japon : "Lorsque la Lune flotte sur l'Océan, un lapin blanc saute dans les vagues"
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Dans la mythologie chinoise (notamment dans le taoïsme) on dit que Chang'e, déesse de la Lune vit dans son palais céleste en compagnie d'un apprenti, d'un crapaud et d'un Lièvre de Jade. L'apprenti s'échine à couper sans cesse un cannelier qui pousse continuellement, le lièvre de jade prépare une potion dans son mortier, aidé par le crapaud.
Miroir de la dynastie Tang (entre le VIIe et le Xe s.) où on peut voir l'apprenti (à gauche) coupeur du cannelier (au centre), le lièvre (à droite) et le crapaud (en bas) |
Le lièvre apothicaire prépare un élixir de longue vie, panacée universelle capable de guérir toutes les maladies (le crapaud, selon certains, représenterait ce remède miraculeux, sorte de pierre philosophale). Le lièvre, aux côtés de l'apprenti qui coupe son cannelier depuis la nuit des temps, représente un symbole d'éternité.
On trouve une légende semblable dans la mythologie vietnamienne où le lièvre accompagne la déesse Hằng Nga.
Dans le folklore coréen, le lièvre lunaire prépare non pas des mochi ou un élixir de longue vie mais des gâteaux de riz.
Dans un épisode du Voyage vers l'Ouest, un roman chinois du XVIe s., le fripon Songoku, sorte de dieu-singe déchu, pourchasse le Lièvre de Jade.
Songoku contre le Lièvre de Jade par Yoshistoshi (fin XIXe s.) |
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Dans ces différents cultures asiatiques qui placent le lièvre dans la Lune, a lieu un Festival de la Lune à la Mi-Automne. Il se tient le 15e jour du 8e mois lunaire selon le calendrier chinois, ce qui équivaut plus ou moins au Solstice d'Automne (en fait la première Pleine Lune d'Automne puisque cette fête a lieu pendant la Pleine Lune).
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Pendant cette fête en Chine et à Taïwan (Moon Festival), célébrée depuis au moins 3000 ans, on allume des lanternes, on offre des cadeaux aux enfants et on mange des mooncakes (gâteaux en forme de pleine lune décorés, avec une croute aux graines de lotus fourrés à la pâte d'haricots rouges).
Au Japon, lors de la Lune des Récoltes (Harvest Moon), on célèbre Jūgoya ("la 15e nuit"), pendant laquelle on se met dans l'état d'esprit dit (O)tskukimi, c'est-à-dire "la contemplation de la Lune". Cette fête traditionnelle a pris sa source dans un Japon poétique, qui accorde une grande importance à la contemplation de la nature. On mange (et on offre aux divinités) des patates douces et du taro (un autre tubercule très répandu dans la cuisine japonaise)... et des mochi, bien sûr !
En Corée, on fête Chuseok ("la veillée d'Automne") ou Hangawi ("le milieu de l'Automne"). Au cours de cette fête, on s'adonne à trois rituels qui consistent à rendre hommage aux ancêtres : le Charye (honorer ses ancêtres chez soi), le Seongmyo (on visite les tombes des ancêtres), et enfin le Beolcho (on nettoie les sépultures, on les désherbe). Lors de ce festival qui rappelle un peu notre Toussaint, on mange des gâteaux de riz traditionnels, en particulier des songpyeon (en forme de demi-Lune) et des hangwa.
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Au Vietnam on fête le Tết Trung Thu ("Milieu d'Automne") aussi surnommé Festival des Enfants car ils sont au centre des festivités. On offre des cadeaux au plus jeunes : des lampions en forme d'étoile, des masques et des tò he (des figurines en amidon de riz qui peuvent être utilisées pour jouer ou être mangées). Les enfants chantent et on organise des danses de lion ou de dragons (vous savez, quand les danseurs se cachent sous un costume de dragon ou de lion et défilent dans les rues en ondulant).
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Au Cambodge, on célèbre Bon Om Touk ("Le festival des Courses nautiques"). On y assiste à des défilés de bateaux illuminés et, ce qui nous intéresse, on organise le Sampeah Preah Khae ("la salutation de la Lune") : on fait des offrandes de fruits qui plaisent aux lapins, on allume des lanternes sur les pagodes et les maisons, on admire la Pleine Lune et on formule des voeux en se rappelant la générosité de Pothisat.
A Singapour, en Malaisie ou en Indonésie, on organise aussi des Festival de Lanternes (pour rappeler la lumière de la Lune)
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En France, le lapin aussi est associé à la Lune puisque dans une version d'Au Clair de la Lune apparut à partir de 1870, les paroles ordinaires sont remplacées par ce couplet :
Au clair de la Lune
Trois petits lapins
Qui mangeaient des prunes
Au fond du jardin,
La pipe à la bouche,
Le verre à la main,
En disant : « Mesdames !
Servez-nous du vin ! »
Trois petits lapins
Qui mangeaient des prunes
Au fond du jardin,
La pipe à la bouche,
Le verre à la main,
En disant : « Mesdames !
Servez-nous du vin ! »
Illustration de Monique Palomares |
Conclusion :
Dans les différentes mythologies, et particulièrement en Asie, le lièvre, mis en rapport avec la Lune, reste un symbole fort de fécondité, de renouveau, de renaissance et d'éternité. Il est souvent associé à un met traditionnel ou magique : l'aliment représente ici la source de la vie, la source d'énergie.
Le lièvre est représenté sur la Lune : il s'agit d'un grand hommage qu'on lui a rendu en échange d'une action honorable, ou parce qu'il s'agit d'un animal digne d'éloge. Dans tous les cas, on est loin de l'image du lièvre couard ou (pire encore) du lièvre démoniaque.
ce soir, vendredi 29 septembre, une super lune sera visible, et c'est la dernière super lune de l'année. Est-ce qu'après cet été riche d'éloges du lapin, j'ai une petite chance d'en voir un en regardant la lune ? Ce serait un bel hommage à ton été, et en plus, c'est encore la saison des prunes :-))
RépondreSupprimerEn regardant la vidéo, j'avais l'impression de voir le lapin dansait devant la lune. Super le couplet de "Au clair de la lune". Pour anecdote : j'ai eu l'occasion, cet été, de goûter à un mochi pas du tout aimé 😕
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