Continuons notre tour du monde lapinesque en partant en Amérique. Les peuples pré-colombiens, en particulier les Aztèques et les Mayas (et plus largement les anciens Mexicains) voyaient dans la Lune l'image d'un lièvre et associaient la Lune, voire sa déesse à cet animal.
Il existe plusieurs légendes pour expliquer cette association.
Ici un lièvre représenté avec la déesse de la Lune aztèque (Mētztli) ou déesse de l'eau maya (Ixchel) sur une peinture du VIe-IXe s. |
1èrement : la création de la Lune et du Soleil
Autrefois, quand le monde n'était qu'obscurité, il n'y avait ni Lune ni Soleil. Les Dieux se rassemblèrent et décidèrent de créer deux "luminaires". Pour cela, il fallait que deux d'entre eux se sacrifient en se jetant dans le feu pour s'immoler.
Tēcciztēcatl, un dieu fort et fanfaron, se porta immédiatement volontaire. Personne d'autre que lui ne voulu se sacrifier, alors on choisit un petit dieu que personne n'aimait vraiment, Nanahuatzin. Or, quand vint le moment de l'immolation, Tēcciztēcatl recula devant le feu, alors que Nanahuatzin, résigné et dévoué, sauta sans hésiter. Encouragé par son exemple, Tēcciztēcatl sauta à son tour. Embrasé, les deux dieux montèrent dans le ciel où ils devinrent deux astres brillants. Mais les autres dieux en voulaient à Tēcciztēcatl : ce n'était pas normal qu'il brille autant que le brave Nanahuatzin, alors qu'il leur avait menti et s'était vanté. On lui jeta à la figure un lièvre qui passait par là : le lièvre obscurci Tēcciztēcatl qui devint la Lune, voilà pourquoi elle brille moins que le Soleil aujourd'hui.
Enluminure du manuscrit Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne par Fray Bernardino de Sahagún (XVIe s.) |
Ce lièvre devint par la suite Mētztli, déesse de la Lune, de la nuit et des agriculteurs. Elle contrôle la pluie et l'irrigation de la Terre grâce à un serpent qu'elle porte en son sein et qui verse l'eau sur la Terre.
Image du Codex Borgia, manuscrit mexicain (XVe s. environ) |
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2ème légende : Quetzacoal et le lièvre
Un jour, le dieu Quetzacoal descendit sur terre pour voyager sous les traits d'un homme. Alors qu'il marchait dans un milieu aride il crut mourir de faim... jusqu'à ce qu'un lapin se présente à lui et s'offre de lui servir de repas. Touché par tant de de bonté, le dieu le souleva, pour le porter devant la Lune afin que son ombre s'imprime sur l'astre. Il ne le mangea pas mais expliqua que désormais, grâce à cette image sur la Lune, chacun se souviendrait de l'acte charitable du lapin.
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3ème légende : Huachinog-vaneg et Tul le lapin
Cette histoire est rapportée par l'écrivain allemand Ben Traven qui a écrit des contes mexicains après avoir vécu dans ce pays.
Dans cette version, le Soleil a été créé par Chicovaneg, un homme qui est ensuite devenu un dieu. Son fils, Huachinog-vaneg, se désole de ne pas pouvoir se montrer à la hauteur de son père. Il pense alors, sur les conseils de sa mère, à fabriquer un petit soleil pour la nuit. Il faudrait que ce soleil nocturne dispense de la lumière mais pas de la chaleur pour que les créatures puissent se remettre de la température de la journée dès que la nuit tombe. Il faudrait aussi que sa lumière croisse progressivement pour que les yeux puissent s'habituer à la luminosité.
Huachinog-vaneg part trouver un sage qui lui conseille d'emporter un lapin avec lui car il s'agit d'un bon compagnon de voyage. Le garçon repart donc avec Tul le lapin. Il construit deux boucliers, un grand et un plus petit mais opaque, puis il se met en route vers les étoiles.
Tul et Huachinog-vaneg devant le le tigre gardien de la route des étoiles (illustration d'Alberto Beltrán) |
Au moment de sauter sur la première étoile, il prend peur et n'y parvient que grâce aux encouragements du lapin. Tul et Huachinog-vaneg sautent d'étoiles en étoiles et prélèvent sur chacune un petit morceau de lumière (mais pas autant que pour créer le Soleil) qui sont placés sur le grand bouclier. Ensuite, Huachinog-vaneg lève ses deux boucliers : il place le bouclier vide devant le grand bouclier lumineux de sorte que l'ombre en cache une partie depuis la Terre : voilà pourquoi la Lune croit et décroit, à mesure que Huachinog-vaneg bouge les boucliers.
Huachinog-vaneg était maintenant devenu un dieu comme son père. Le lapin l'accompagnait toujours dans son voyage à travers le ciel, mais un jour le porteur de Lune s'en trouva agacé : Tul allait par-ci, allait par-là, et parfois entre ses jambes ce qui le faisait trébucher. Huachinog-vaneg voulut le renvoyer sur la Terre, néanmoins le lapin lui reprocha son ingratitude : sans lui, il hésiterait encore à sauter sur la première étoile ! Reconnaissant son erreur, Huachinog-vaneg le plaça alors sur son bouclier pour que tous puissent se rappeler qu'un lapin l'avait aidé à fabriquer la Lune, soleil de la nuit.
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Dans tous les cas, on voit que le lapin de la Lune est toujours un animal courageux dans ces histories (au moins dans la 2ème et dans la 3e), et ne fait pas preuve de couardise.
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Dans le Codex Borgia, on retrouve diverses images de lapins, représenté en "gris-bleu" pour la déesse de la Lune, mais aussi en jaune parmi d'autres animaux (souvent dans des fresques, à côté d'un renard/chacal). On le reconnait à ses grandes oreilles et ses longues dents.
Je vous mets quelques détails, mais n'hésitez pas à le feuilleter en ligne pour chercher les lièvres par vous même.
A droite, un personnage à tête de lièvre (la déesse de la Lune ?) |
Le lièvre en bas au centre : un sacrifice ? |
Encore une représentation de la Lune (le lièvre dans un cercle) |
J'ignore s'il s'agit d'un pictogramme et ce qu'il signifie, dans tous les cas il devait être suffisamment important pour qu'on ait besoin de le représenter.
Ci-dessous, sur le vase Princeton, un vase-codex maya datant du VIIe s., on peut voir un lapin-scribe (en bas) :
Bref, le lièvre est bien présent dans l'iconographie des civilisations précolombienne, notamment maya et aztèque. Il était aussi associé à la consommation du pulque, boisson alcoolisée de cactus fermenté.
Peinture rupestre à Cataviña au Mexique, vieille d'environ 10 000ans. (source) Assez exceptionnelle car vous vous souviendrez qu'en Europe, on ne connaît pas de représentation rupestre de lièvre. |
Les légendes sur la lune, le soleil et les étoiles sont toujours poétiques; Le "codex borgia" est bien abimé, j'ai eu du mal à voir les images de lapins, mais j'en ai trouvés. le vase Princeton est magnifique, je ne sais pas en quoi il est, j'ai trouvé des articles en anglais et je n'ai pas pu les traduire 😔
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