lundi 7 septembre 2020

Le Rat et la Grenouille

Esope (VIe siècle av. J.C) a composé une fable qui ressemble à la Batrakhomyomakhia : une grenouille invite chez elle un rat... sauf qu'elle essaie de le noyer volontairement (contrairement, justement, à ce que nous avions dans l'épopée parodique). Mais comme vous pourrez le constater, elle est bien puni de sa rouerie :

Un rat de terre, pour son malheur, se lia d’amitié avec une grenouille. Or la grenouille, qui avait de mauvais desseins, attacha la patte du rat à sa propre patte. Et tout d’abord ils allèrent sur la terre manger du blé ; ensuite ils s’approchèrent du bord de l’étang. Alors la grenouille entraîna le rat au fond, tandis qu’elle s’ébattait dans l’eau en poussant ses brekekekex. Et le malheureux rat, gonflé d’eau, fut noyé ; mais il surnageait, attaché à la patte de la grenouille. Un milan, l’ayant aperçu, l’enleva dans ses serres, et la grenouille enchaînée suivit et servit, elle aussi, de dîner au milan.

Même mort, on peut se venger ; car la justice divine à l’œil sur tout, et proportionne dans sa balance le châtiment à la faute. 

Gravure de Gustave Doré

La Fontaine (XVIIe s), s'inspirant d'Esope, a à son tour écrit une fable sur ces deux animaux. Plus longue, elle a une morale (ou plutôt deux) quelque(s) peu différente(s) :


Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner [croit tromper]  autrui ,
Qui souvent s'engeigne [se trompe] soi-même.
J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris,
Un rat plein d'embonpoint, gras et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême,
Sur le bord d'un marais égayait ses esprits.
Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
- Venez me voir chez moi ; je vous ferai festin.
Messire Rat promit soudain  :
Il n'était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les moeurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.
Un point sans plus tenait le galand empêché.
Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l'aide.
La Grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brin de jonc en fit l'affaire.
Dans le marais entrés, notre bonne Commère
S'efforce de tirer son Hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée ;
(C'était, à son avis, un excellent morceau.)
Déjà, dans son esprit la Galande le croque.
Il atteste les dieux ; la Perfide s'en moque :
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et par même moyen
La Grenouille et le lien.
Tout en fut : tant et si bien,
Que de cette double proie
L'Oiseau se donne au coeur joie,
Ayant de cette façon
A souper chair et poisson.

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.

Réclame du magasin "Au bon marché" (vers 1930)


1 commentaire:

  1. malheureusement le mal n'est pas toujours puni. Je suis intriguée par l'illustration, j'ai vu qu'il s’agissait de cartes, Le Bon Marché devait les distribuer en cartes de collection pour les enfant.

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