Le corbeau est un symbole fréquent (pour ne pas dire indispensable) de l'Alchimie.
Pour rappel, l'Alchimie est une science occulte en vogue au Moyen Âge qui vise essentiellement à la transmutation des métaux (=créer de l'or) et recherche les secrets de la vie éternelle.
Le but suprême des alchimistes est appelé le Grand Œuvre (ou Magnum Opus) et se concrétise dans la pierre philosophale (cette fameuse pierre qui permet de transmuter les métaux et de prolonger sa vie).
Le Grand Oeuvre doit être opéré en trois étape :
1) Nigredo = l’œuvre au noir. Il s'agit de la mort de la Materia Prima (matière première), de l'élimination du mercure, de la dissolution du plomb et de la coagulation du soufre. Comme par hasard, le liquide obtenu dans le creuset est de couleur bleu-noir, soit aile-de-corbeau. Symboliquement donc : mort, corruption et putréfaction (des métaux et de l'âme)
2) Albedo = l’œuvre au blanc. Il s'agit de laver les scories. Symboliquement : purification (de l’élixir et de l'âme)
3) Rubedo = l’œuvre au rouge. Il s'agit d'unir les composants pour obtenir l'élixir de longue vie ou la pierre philosophale. Symboliquement : augmentation et fixation... pour aboutir au Grand Œuvre.
|
Le corbeau sur un médaillon hermétique de Notre Dame de Paris
|
Sans surprise, le corbeau est associé à la première étape, l’œuvre au noir. Il est aussi appelé Caput Corvi (la tête de corbeau).
|
Anatomia Auri, Johann Daniel Mylius |
Ainsi, dans les traités et les images alchimiques, le corbeau représente la Materia Prima, qu'on associe aussi au vieux mercure. Il incarne la mort, la putréfaction. Mais il symbolise aussi la lumière cachée : c'est de cette Materia Prima transformée que pourra émerger le Grand Œuvre. Il contient en lui le germe de l'or et de l'éternité mais a besoin d'un coup de pouce alchimique pour se métamorphoser. Ainsi, les alchimistes nomment leur première manipulation "la décapitation du corbeau" : il faut tuer l'oiseau pour qu'il révèle son plein potentiel. Vous comprenez probablement pourquoi on le nomme Caput Corvi ! On dit que la tête du corbeau devient blanche quand l'opération réussit et qu'on peut passer à l’œuvre au blanc.
Dans cette image du Splendor Solis de l'alchimiste Salomon Trismosin, on voit un adepte monter en haut d'un arbre pour cueillir des pommes en or. Treize corbeaux entièrement noirs viennent de s'envoler de l'arbre. Celui qui reste a la tête blanche : la Nigredo est accomplie !
Avec l’œuvre au noir, on retrouve une idée commune à nombre de rituels initiatiques : le héros doit mourir pour mieux renaître de ses cendres, nu et vide afin de pouvoir être remplis de "bonnes" choses. Le corbeau joue donc ici un rôle de Phénix.
Dans son ouvrage Viatorium spagyricum, Herbrandt Jamsthaler écrit à propos du Nigredo :
Lecteur, tu me vois étendu,
La terre recouvre mon corps.
Avec mon âme, mon esprit
A gagné les hauteurs célestes.
Mais ils ne se sont pas enfuis,
Car le sépulcre est bien fermé.
Ils sont donc contraints par l'artiste
De venir rénover ma vie.
Je suis semblable au noir corbeau.
Quand vient le quatorzième jour
Je reprends le sceptre en ma main
Et fais que mon peuple prospère
|
Sur cette image, le vieillard, qui représente le vieux mercure, est visité par le corbeau qui représente la putréfaction : grâce à lui va s'opérer l’œuvre au noir.
|
Dans les Nouveaux emblèmes chimiques des secrets de la nature de Michael Maier, on trouve cette image accompagnée de cet épigramme :
Occupant le sommet d’une haute montagne
Un vautour crie sans cesse : On me dit noir et blanc ;
Je suis encore jaune et rouge et ne mens pas.
C’est aussi le corbeau qui sait voler sans ailes
Dans la nuit ténébreuse aussi bien qu’en plein jour.
L’un ou l’autre sera la tête de ton oeuvre.
Le corbeau sans aile symbolise la matière fixe. Le corbeau ailé, représente les éléments volatils.
Une fois le corbeau (le vieux mercure) mort, il cèdera la place au mercure purifié représenté par le vautour. On voit dans l'épigramme l'importance des couleurs qu'on retrouve non seulement dans le nom des étapes alchimiques, mais aussi dans les variations des métaux et des élixirs. Comme vous le remarquez, le poème fait encore mention de la "tête" du corbeau. Situé au départ de toute chose, le corbeau se trouve à la tête du processus alchimique.
Dans cette enluminure de l'Aurora Consurgens attribué à St Thomas d'Aquin, on voit les trois étape du Grand Œuvre dans l'athanor : le corbeau (putréfaction) sur l'aigle (envol de l'esprit) sur le dragon qui se mort la queue (éternité).
***
Notez aussi que les alchimistes utilisaient un langage codé appelé "langue des oiseaux" ou "langue des corbeaux". Il s'agissait (en gros) d'écrire phonétiquement une phrase qu'on pouvait comprendre autrement. Ainsi, le corbeau devient un code pour dire "corps beau". C'est l'oiseau de la Mort, qui se nourrit d'un corps vieux pour le rajeunir, le rendre à la vie, le rendre corps beau.
|
Philosophia reformata de Mylius, la Putréfaction |
***
Dans plusieurs représentations alchimiques, le corbeau est aussi montré en train de dévorer un lièvre, comme sur ce médaillon de la basilique San Marco à Venise :
Il s'agit là encore d'une représentation symbolique de la mort-renaissance. Le lièvre, en tant qu'animal lunaire est souvent associé à l’œuvre au blanc.
***
L'Alchimie étant une discipline fort complexe, j'ai essayé d'aller au plus simple. Mais si le sujet vous intéresse, n'hésitez pas à lire cet article très détaillé.
oh que oui, le sujet est complexe. Merci d'avoir là encore apporter des explications que j'ai relues plusieurs fois. Je crains l'interro écrite ! :-))
RépondreSupprimerHihi, ne t'inquiète pas, je ferai des questions point bonus ! ^^
SupprimerEn vrai, je ne poserai pas de question complexe sur l'Alchimie. C'est vraiment un sujet difficile et volontairement nébuleux : seuls les initiés peuvent comprendre, ce qui n'est pas notre cas, je le crains !
La première fois que j'ai entendu parler d'alchimie, je crois que c'est en regardant les films "Angélique". Je trouvais fascinant la croyance de faire de l'or. Ton article m'a fait comprendre comment l'alchimiste comptait si prendre. J'ai lu une partie de l'article détaillé, principalement la description de l'image du vieux Mercure, je l'ai trouvé très mathématique, cela m'a fait penser à l'homme de Vitruve.
RépondreSupprimerIl ne me reste plus qu'à regarder "Angélique" =D
Supprimer