samedi 27 août 2022

Le corbeau dans les fables (1)

Les temps passent et, après le Moyen Âge, un genre revient à la mode : celui de la fable. Nous avons déjà vu quelques exemples de fables médiévales, les fameux Isopet de Marie de France.
 
Ce genre était déjà connu à l'Antiquité, avec notamment l'auteur grec Ésope qui est resté dans l'Histoire. Dans ses fables il mentionnait déjà les corbeaux. Je vais vous en résumer quelques-unes, avec des liens vers les textes pour que vous puissiez les lire si le coeur vous en dit. 
 
- Le lâche et les corbeaux : un homme lâche hésite à aller à la guerre car il entend des corbeaux croasser. On retrouve l'idée d'un corbeau "messager", porte-parole des dieux et annonciateur de mort.
 
- Le voyageur et le corbeau : des voyageurs rencontrent un corbeau borgne. L'un deux prétend que c'est de mauvais augure et veut rebrousser chemin, mais l'autre le raisonne : si ce corbeau n'a pas su prévoir la perte de son oeil, c'est qu'il ne connaît pas grand chose à l'avenir.  

- La corneille et le corbeau : une corneille, jalouse qu'on écoute les messages divinatoires des corbeaux, essaie de les imiter et crie plus fort qu'eux pour qu'on la remarque. Mais les passants savent qu'il s'agit d'une corneille, ainsi ne prêtent-ils aucune attention à ses pseudo révélations.  

- Le choucas et les corbeaux : un choucas plus gros que les autres, se sentant supérieur à ses semblables, s'en va pour aller vivre chez les corbeaux. Mais ceux-ci ne veulent pas de cet étranger ! Repoussé à la fois par les corbeaux et par les choucas vexés, le grand choucas doit vivre seul...
 
- Le corbeau et Hermès : un corbeau tombé dans un piège promet un sacrifice à Hermès s'il le libère. Une fois sauvé, il oublie de tenir sa promesse. Mais voilà qu'il retombe dans un second piège : cette fois, c'est à Apollon qu'il promet une offrande... Or, ce Dieu-là se montre moins transigeant et refuse de le sauver car il sait qu'il n'aura rien en retour. 
 
- Le corbeau et le serpent : Un corbeau attrape un serpent pour son dîner et se réjouit d'une telle aubaine... qui se révèle fatale car le serpent le mord et il meurt !
 
'(source)

 
- Le corbeau malade : La mère d'un corbeau mourant ne sait quel Dieu prier pour sauver son enfant, lequel a dérobé de la viande (probablement sacrificiel) à tous les Dieux... 
 
- Le Corbeau et la cruche : un corbeau assoiffé ne parvient pas à passer la tête dans une cruche pour y boire. Usant de ruse, il y jette des pierres jusqu'à ce que le niveau de l'eau soit assez haut pour qu'il puisse l'atteindre. 
 
Illustration de Walter Crane


Ainsi, dans les fables d’Ésope, on voit que le corbeau est à la fois un messager des Dieux (Le lâche et le corbeau, Le voyageur et le corbeau, voire Le corbeau et Hermès qui le met en scène avec Apollon) et un impie (Le corbeau et Hermès, Le corbeau malade). Il reste tout de même assez respecté : même si les protagonistes remettent en cause ses dons de divination, ils le regardent et l'écoute avec attention, le choucas pense que vivre avec des corbeaux reprrésentera une "hausse sociale" pour lui, et le corbeau sait faire preuve de ruse.

Et qu'en est-il des autres corvidés ? 
 
*** 

- Le choucas et le renard : un choucas perché sur un figuier attend que les fruits mûrissent. Une renard vient à passer et lui rappelle que l'espérance ne nourrit pas. 
 
Illustration de Marc Thil
 
- Le choucas et les oiseaux : Zeus (le Dieu suprême) veut choisir le plus beau des oiseaux pour le nommer Roi. Conscient de sa laideur, le choucas ramasse les plumes des autres oiseaux et s'en revêt. Zeus, trompé, veut le choisir comme Roi : mais les autres arrachent ses plumes pour montrer qu'il a menti, révélant par-là sa duperie.
 
- Le paon et le choucas : les oiseaux choisissent le paon pour Roi, en raison de sa beauté... mais le choucas rappelle que quand l'aigle les attaquera, la beauté du paon ne pourra rien pour les sauver !  

Illustration d'André Hellé


- Le choucas et les pigeons met à nouveau en scène un choucas qui veut quitter les siens, mais pour profiter de la nourriture des pigeons cette fois. Il connaît le même sort de celui qui avait voulu se faire passer pour un corbeau.
 
-L'aigle, le choucas et le berger : un choucas voit un aigle capturer un mouton. Il veut en faire autant mais, n'étant pas un aigle, il ne peut soulever sa prise ! C'est lui qui se fait capturer par le berger, lequel lui rogne les ailes pour en faire son animal de compagnie (autrement dit son esclave). 

Illustration de Walter Crane

- Le choucas échappé : un choucas domestiqué par les Hommes s'enfuie pour retrouver la liberté... mais le fil qui le tenait captif s'enroule aux branches de son nid. A nouveau prisonnier de son propre piège, il est condamné à mourir de faim et de soif. (Je rappelle qu'en ce temps-là, les sociétés grecques et romaines fonctionnaient avec un système esclavagiste. Cette fable concerne probablement les éventuels rebelles.)

Globalement, le choucas semble moins valorisé dans les fables d’Ésope : il est considéré sot et laid, sauf dans "Le paon et le choucas" où il fait preuve de tact.
Qu'en est-il de la corneille ? 
 
***
 
- L'hirondelle et la corneille parlant de leur beauté : l'hirondelle se vante d'être plus belle que la corneille. Mais celle-ci lui réplique que son propre corps peut survivre à l'Hiver, tandis que l'hirondelle part (ou meurt) une fois passé le Printemps. 
 
- L'hirondelle vantarde et la corneille : cette fable se réfère à la mythologie et à la légende de Philomèle, jeune fille transformée en hirondelle pour échapper à l'amour fou d'un homme nommé Térée. Dans la fable, l'hirondelle se vante ainsi d'être vierge, princesse et athénienne, trois qualités qui prouve son haut rang. Pour attirer l'attention et la compassion, elle raconte aussi que Térée lui a coupé la langue. Alors, la corneille se moque : malgré sa langue coupée, l'hirondelle est déjà terriblement bavarde et orgueilleuse ! Qu'en serait-il si elle avait gardé sa langue ? (Il faut comprendre par-là que l'hirondelle s'est faite avoir à son propre piège : à force de se vanter, elle a fait une bourde et révélé qu'elle ne faisait que mentir car elle n'aurait pas pu parler sans langue). 
 
-La corneille et le chien : une corneille offre un sacrifice à Athéna. Un chien s'en étonne : pourquoi rendre hommage à la déesse, alors que la corneille sait qu'elle en est détesté ? L'oiseau lui réplique qu'en agissant ainsi, elle veut se réconcilier avec Athéna (ce qui pourrait être un bon prétexte si Esope ne nous disait pas que nombreux sont ceux qui font du bien à leurs ennemis car ils les craignent). Cette fable nous rappelle un épisode mythologique : la corneille, autrefois oiseau fétiche d'Athéna, a été détrônée par la chouette après lui avoir rapporté de mauvaises nouvelles.
 
 - La colombe et la corneille : une colombe élevée par des Hommes et prisonnière d'une volière s’enorgueillit d'avoir de nombreux oeufs. Mais la corneille, entièrement libre, lui rappelle que tous ses enfants seront des esclaves, donc qu'elle n'a pas à s'en vanter...
Illustration d'Harrison Weir


Ainsi, comme le corbeau, la corneille semble plutôt valorisée par Esope : elle a tendance à donner de bons conseils et à rabattre le caquet des vantards. 

Nous verrons demain comment cette image des corvidés, plutôt valorisés (sauf le choucas) par Ésope durant l'Antiquité, à évolué à partir du XVIIe siècle notamment par le biais de Jean La Fontaine.

3 commentaires:

  1. quelle richesse culturelle autour du corbeau. Il n'a laissé aucune "plume" indifférente..

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  2. Incroyable le nombre de fable avec un corbeau. J'ai surtout apprécié " Le corbeau et la cruche" dans laquelle le corbeau fait preuve de finesse et "Le voyageur et le corbeau" la réponse de l'un d'eux est très censée

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