samedi 30 juillet 2022

Hrafnsmál : le Dit du Corbeau

 Le Dit du Corbeau (Hrafnsmál en Norvégien), est un poème du scalde (= poète) Hornklofi (« Griffe de corne »), datant du IXe siècle. Il s'intitule ainsi car il est écrit sous la forme d'un dialogue entre un corbeau une walkyrie (une divinité guerrière notamment chargée de conduire les âmes au Walhalla, sorte de paradis pour les braves). 
Il est aussi appelé Poème sur Harald (Haraldskvæði), car la walkyrie questionne le corbeau à propos du Roi Harald
 
Gravure de Joseph Swain

Le corbeau y est vu comme un messager : de même qu'Huginn et Muninn, il arpente le monde et rapporte à la walkyrie ce qu'il y a vu. 
 
Il est aussi étroitement lié au monde des morts et est montré comme un nécrophage. Ainsi, la discussion s'amorce car la guerrière s'interroge sur l'état du corbeau qui a le bec ensanglanté. Plus loin, le corbeau se réjouit car il a assisté à une bataille et a pu se repaître des morts. Il est également surnommé "buveur de la mer de sang", ce qui rappelle qu'il se nourrit des cadavres... Et ce n'est pas un hasard s'il discute avec une walkyrie, divinité de la bataille et de la mort !
 
En outre, le corbeau est vu comme un animal régalien, un compagnon de roi, puisqu'il avoue lui-même qu'il accompagne le Roi Harald "depuis qu['il est] sorti de l'oeuf".
 
Sur cette illustration d'Arthur Rackam, les Walkyries sont coiffées d'ailes de corbeau

 
 
***

Si vous avez la curiosité de lire ce poème, en voilà une traduction. 
Vous verrez que la poésie scaldique utilise des métaphores parfois alambiquées, qui se réfèrent à la mythologie et peuvent être difficile à saisir pour nous. Le Dit du Corbeau est assez simple mais je vous ai donné quelques infos entre crochets pour bien comprendre. 
Le texte commence par une courte harangue du scalde (du style : écoutez-moi), puis embraye avec le poème à proprement parler. Je vous laisse le découvrir...
 
/!\ Il s'agit d'une traduction approximative : je n'en ai pas trouvé en Français et me suis donc basée sur des textes norvégiens et anglais modernes. Vous aurez surtout l'idée, je ne suis pas apte à rendre la poésie du texte originale, et j'en suis navrée...


Les porteurs d'épées écoutent, tandis que moi, à propos d'Harald, le principal homme riche, je raconte les exploits. Je transmettrai les mots que j'ai entendus d'une jeune fille, blonde et aux cheveux blancs, qui a parlé à un corbeau. 
 
La walkyrie se croyait sage, Les hommes ne plaisaient pas à la vierge farouche, qui comprenait la voix de l'oiseau; elle aux cils clairs et au cou blanc salua le cueilleur de crânes d'Hymir [le corbeau], qui était assis sur la crête des rochers de la prairie.
- Comment vas-tu, corbeau ? D'où reviens-tu, si tôt dans la journée, avec un bec ensanglanté ? La chair pend à tes griffes, une puanteur de charogne sort de ton bec... Probablement qu'hier soir tu as logé là où tu savais que gisaient des cadavres !
Le plumage noir, frère-juré de l'aigle, bougea et essuya son bec, réfléchissant aux réponses :
- J'ai suivi Harald, le fils de Halfdan, le jeune descendant d'Yngve, depuis que je suis sorti de l'œuf.
Je pensais que tu connaissais ce roi, qui vit sur Kvinnar, Prince des Norvégiens, qui possède des navires profonds, avec des boucliers rouges aux pourtours rouges, des avirons goudronnés et des tentes saupoudrées de mousse.
Il veut organiser une fête de Yule en pleine mer, si lui seul doit conseiller, le prince noble, et pratiquer le sport de Freyr [=combattre]. Enfant, il était triste de se chauffer près du feu et de s'asseoir à l'intérieur de la chaude chambre des femmes, avec des mitaines en duvet.
Vous pouviez entendre à Hafsfjorden, comment le grand roi y combattit avec Kjötve le riche. les navires étaient venus de l'est, avides de bataille, avec des têtes [de figure de proue] béantes et des étraves sculptées. 
Ils étaient chargés de grands hommes armés de boucliers blancs, de lances occidentales et d'épées galloises. Les berserkers [guerriers-fauves] rugirent, le combat continuait, les loups hurlaient et secouaient leurs lances. 
Ils voulaient mettre à l'épreuve le puissant Roi, qui leur a montrer comment fuir, le souverain des gens de l'Est [=Norvégiens] qui vit sur Utsten. Le souverain a lancé les étalons de Nokkvi [le roi des mers, donc ses chevaux sont les navires], alors qu'il s'attendait à un combat. Il y avait du tonnerre sur les boucliers avant la chute d'Haklangr. 
Le Prince-au-cou-gras [= Kjötve] se lassa de défendre la terre contre cheveux-hirsute [=Harald]. Il a pris l'îlot pour bouclier. Les blessés se jetaient sous les bancs de rame, laissaient leur dos à l'air mais plongeaient leur nez dans la cale. 
Les guerriers sensés ont fait étinceler sur leur dos les bardeaux de la salle de Svafnir [=Odin, cette métaphore désigne les boucliers]. Ils ont été battus avec des pierres. Les gens de l'Est ont couru furieusement de Hafsfjorden à Jæderen - ils pensaient à la boisson à base d'hydromel. 
Les corps gisaient là sur le rivage sablonneux, destiné à l'amant borgne de Frigg [=Odin, Dieu qui accueille les morts]. Nous étions ravis d'une telle prouesse héroïque. 
Elles auront autre chose, les dames d'honneur de Ragnhildr [=la mère d'Harald], les femmes hautaines, pour bavarder autour d'un verre, que de voir des loups qu'Harald affamés du sang des tués, tandis que leurs propres hommes les nourrissent. [Autrement dit : les loups ne peuvent pas manger les cadavres des troupes d'Haralrd puisqu'il repart victorieux] 
Le grand roi, qui a épousé la Danoise, a rompu avec les femmes de Holmry et les filles de Hörderne, des païens et de la lignée de Hølge. 
 
-À quel point le guerrier est-il généreux envers ses excellents hommes qui gardent son pays ? 
-Les guerriers qui jouent avec des pièces dans la cour de Harald sont très doués ; avec des biens qu'ils sont doués et avec des épées brillantes, avec du minerai Hunnic (lances ?) et des femmes esclaves orientales. 
- Les guerriers sont grandement enrichis, ceux qui lancent les dés à la cour de Haraldr. Ils sont dotés d'objets de valeur et de beaux trésors, avec du métal Hunnish [=une lance] et une servante orientale. 
Alors les fougueux, quand ils peuvent s'attendre à la bataille, sont prompts à sauter et à plier les rames, à déchirer les lanières et à casser les sabords. Je sais qu'ils caressent durement les vagues quand le roi le veut. 
 
-Sur les conditions des scaldes, je vais te questionner puisque tu sembles bien informé. Tu connais probablement la condition des poètes qui sont avec Harald ? 
- A leurs robes et leurs anneaux d'or, on peut voir qu'ils sont amis du roi. Ils ont des manteaux de fourrure rouge avec de belles rayures, des épées enveloppées d'argent, des armure en cottes de mailles, des rubans d'épée en or, des casques ornés de personnages, des bracelets que Harald leur a donnés. 
 
-A propos des conditions des berserkers, je te demanderai, buveur de la mer de sang, comment sont traités les braves qui partent au combat ? 
-Les « bruyères de loup » sont les noms de ceux qui portent des boucliers sanglants au combat, ils rougissent les lances quand ils viennent au combat. Là, ils se réunissent. Là je sais que l'honnête prince fait confiance à de simples hommes audacieux qui taillent des boucliers. 
 
-Je t'ai peu interrogé sur les ménestrels et les jongleurs : comment sont accueillis Andaðr et ses compagnons dans le domaine de Haraldr ? 
- Andaðr prend soin d'un chien sans oreille; déroule des bêtises et fait rire le roi. Il y en a aussi d'autres qui doivent porter un copeau brûlant à travers le feu; ils ont coincé sous leur ceinture des chapeaux flamboyants, ces hommes qui méritent des coups de pied. 
 
***
 
Pour les plus curieux, vous pouvez aussi aller voir:

4 commentaires:

  1. Partout, le corbeau est quand même associé aux situations plutôt lugubres et morbides, même en messager. Le trouvera t-on plus tard lié à des actes de sorcellerie ou autres ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Eh oui le corbeau, compagnon des devins dès l'Antiquité, sera associé à la sorcellerie... pour son grand malheur (car on connaît le sort réservé aux sorcières)

      Supprimer
  2. le lecteur comprend que l'histoire ne vient pas du narrateur mais qu'il raconte ce qu'il a entendu. Le corbeau est, à cette époque lié à la mort, au sang. Heureusement Jean de la Fontaine nous a montré un corbeau filou mais pas morbide.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La Fontaine nous a surtout montré un corbeau stupide et complètement désacralisé. Mais nous y reviendrons !

      Supprimer


Pour laisser un commentaire :
Choisissez dans l'onglet déroulant " Nom/url"
Une fenêtre "Modifier le profil" va s'ouvrir.
Entrez votre pseudo, laissez la case url vide.
Vous n'avez plus qu'à me laisser votre petit message !