Après ce petit intermède garfiedesque et littéraire, revenons-en à notre lièvre médiévale.
La viande de lapin et de lièvre est restée, malgré des tabous alimentaires bibliques, fort prisée au Moyen Âge. En effet, les laurices sont toujours bienvenus sur les tables pendant les jours maigres : on ne considère pas ces foetus comme de la viande mais comme du poisson puisqu'ils baignent dans l'eau jusqu'à ce qu'on les consomme ! Cette consommation de lapereaux pendant le Carême est indiqué par l'évêque Grégoire de Tours et a même été autorisée par le pape Grégoire Ier au VIe siècle.
Cette consommation a aidé la prolifération et la domestication des lapins : dans les monastères, on aurait développé l'élevage des lapins en clapier pour pouvoir manger les laurices...
Surtout, la chasse au lièvre est restée, depuis l'Antiquité, une activité fort prisée, notamment par les nobles. Les leporaria de jadis ont laissé place à des garennes : de larges espaces enclos où les lapins et les lièvres pouvaient proliférer en toute liberté.
Enluminure du XVIe s. :des amants jouent avec des lapins dans une garenne |
Les nobles à qui appartenaient ces garennes pouvaient ensuite les chasser en toute simplicité, bien plus facilement qu'ils ne l'auraient fait en pleine nature. Les pauvres n'avaient bien entendu par accès à ces garennes et devaient se contenter de braconner s'ils voulaient manger du lapin ! Ces enclos prennent tant de place qu'ils menacent de priver les gens de terres cultivables... car n'oublions pas que partout où vit le lapin, les végétaux sont grignotés. Ainsi, dès le XIVe siècle, il devient interdit d'agrandir les garennes. Ce "droit de garenne" a été aboli pendant la Révolution.
Toujours est-il que pendant tout le Moyen Âge, la chasse aux lièvres et aux lapins est resté un loisir facile et apprécié, notamment par les femmes.
Dans cette enluminure du Décrétale de Grégoire IX (XIVe s.), on voit des femmes chasser le lapin |
Ici (même manuscrit), on ne voit pas le lapin mais les femmes qui introduisent un chien dans son terrier pour le chasser |
De nombreux traités médiévaux parlent de la chasse aux lièvres. Par exemple, le Traité de chasse de Gaston Phébus (XIVe s.) :
"Le lièvre est assez commune bête, aussi n'y a-t-il pas lieu de le décrire, car il y a peu de gens qui n'en aient vu. Ils vivent des blés et autres gagnages, d'herbes, de feuilles, des écorces des arbres, de raisins et d'autres fruits. [...] Donc la chasse du lièvre est très bonne, car elle dure toute l'année, comme j'ai dit; et le quérir est très belle chose, et le poursuivre aux lévriers, belle chose, et le prendre à force, belle chose, car c'est grande maîtrise, pour les subtilités et malices qu'il fait. [...]
Le lièvre ne vit pas longtemps, car c'est à peine s'il dépasse la septième année, quand on ne le chasse ni ne le prend. Il entend bien, mais il voit mal. Il a grand pouvoir de courir à cause de la sécheresse de ses nerfs. [...]Les lièvres n'ont point de saison pour leurs amours, car il n'y aura jamais de mois dans l'année qu'il n'y en ait de chauds; toutefois, habituellement, leur grand amour est au mois de janvier [...]. Les lièvres demeurent en divers pays et selon le temps, car les uns demeurent dans les fougères, les autres dans les bruyères, d'autres dans les blés, d'autres dans les guérets, d'autres dans les bois. [...]
Les hases portent deux mois leurs levrauts et, quand elles ont mis bas, elles les polissent de la langue, ainsi que fait une lice [=chienne de chasse]. Et puis elles s'enfuient au loin et vont quérir volontiers le mâle, car si elles demeuraient avec leurs levrauts, volontiers les mangeraient. [...]
On prend les lièvres soit aux lévriers et aux chiens courants à force, aux pochettes ou bourses, aux filets et réseaux et avec de menues cordelettes, en les tendant là où le lièvre aura fait ses brisées en allant à sa pâture...
Le lièvre ne vit pas longtemps, car c'est à peine s'il dépasse la septième année, quand on ne le chasse ni ne le prend. Il entend bien, mais il voit mal. Il a grand pouvoir de courir à cause de la sécheresse de ses nerfs. [...]Les lièvres n'ont point de saison pour leurs amours, car il n'y aura jamais de mois dans l'année qu'il n'y en ait de chauds; toutefois, habituellement, leur grand amour est au mois de janvier [...]. Les lièvres demeurent en divers pays et selon le temps, car les uns demeurent dans les fougères, les autres dans les bruyères, d'autres dans les blés, d'autres dans les guérets, d'autres dans les bois. [...]
Les hases portent deux mois leurs levrauts et, quand elles ont mis bas, elles les polissent de la langue, ainsi que fait une lice [=chienne de chasse]. Et puis elles s'enfuient au loin et vont quérir volontiers le mâle, car si elles demeuraient avec leurs levrauts, volontiers les mangeraient. [...]
On prend les lièvres soit aux lévriers et aux chiens courants à force, aux pochettes ou bourses, aux filets et réseaux et avec de menues cordelettes, en les tendant là où le lièvre aura fait ses brisées en allant à sa pâture...
Et à propos des lapins :
"Connil est assez commune bête [...] Qui veut avoir bonne garenne de connils doit les chasser deux ou trois fois la semaine avec des espagnols [=épagneuls], qui s'appellent chiens d'oiseaux, et les faire enclore. Car autrement, ils dévastent volontiers le pays si on ne les tient toujours près de leurs plapliers [=clapiers] ou terriers [...] Quand le connil veut aller à la connille, il donne un si grand coup du pied en terre, c'est grand-merveille. [...] On les prend comme des lièvres [...] La chair du connil est meilleure que celle du lièvre, car celle du lièvre est mélancolique et sèche, plus que celle du connil."
Enluminure d'un manuscrit du XVe s. |
(Ceux ne sont que des extraits. Vous pouvez lire en entier le passage sur le lièvre ici, et celui sur le lapin ici.)
Du fait de ce grand engouement pour la chasse aux lièvres, les illustrations en sont nombreuses dans les manuscrits, que ce soit dans les marges (c'est-à-dire que les scènes sont là pour décorer, alors que le texte parle d'autre chose) ou en illustration de quasi-pleine page (quand le texte parle vraiment de chasse).
Pour le plaisir des yeux, en voici quelques-unes que vous pourrez admirer à loisir.
Manuscrit du XVIe s. |
Manuscrit du XIVe s. |
Manuscrit allemand du XVe s. |
Manuscrit du XVIe s. |
Manuscrit du XIVe s. |
Manuscrit du XVe s. Petite anecdote, cette miniature illustre "La maniere de traire au lièvre aux tasses", ce qui signifie en français moderne : "La manière de tirer sur un lièvre dans un fourré". Joli, non? (Quoi vous ne pensiez tout de même pas que ce chasseur essayait de prendre du lait au lièvre !?) |
Manuscrit du XVIe s. |
Manuscrit du XIVe s. (Notez que la corne utilisée pour la chasse aux lièvres portait le nom de "huchet") |
Manuscrit du XIVe s. Remarquez le valet de chasse qui tient le chien et désigne le lièvre à son maître, le noble chasseur |
Manuscrit du XIVe s. Ici, on nous montre comment prendre au piège un lièvre tout seul, sans chien ni valet, avec l'aide d'un simple filet |
Manuscrit du XVe s |
Manuscrit du XVe s. |
Dans ce manuscrit vénitien du XVIe s., on voit qu'on put attraper les lièvres avec différentes méthodes : filets, chien, rapace.... |
Cette enluminure du XVe s montre comment on prend les lièvres "à la croupie", c'est à dire : " quand au matin à l'esgail on guette le lievre, estant à croupeton et jette-on ses levriers sus" (=Quand au matin à la rosée, on guette le lièvre, étant accroupi, et on jette ses lévriers (des)sus) |
Il y en aurait tant d'autres à vous montrer ! A vous de partir à leur recherche maintenant ! 😏
Pour en savoir plus sur les garennes et parc à lapins médiévaux, vous pouvez lire ce document
elles sont effectivement belles toutes ces illustrations, remplies de détails. J'aime le côté "naïf " de certaines. En tout cas, bien de scènes de chasse aux lièvres sont représentées.
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