lundi 21 août 2023

Le lièvre dans le Roman de Renart (1)

 Au delà de la subversion dans les enluminures, le lièvre peut apparaître comme un personnage dans les textes médiévaux. Ainsi, dans le Roman de Renart, œuvre indispensable sur les animaux au Moyen Âge, le lapin, et surtout le lièvre, font plusieurs apparitions. 
Pour vous rafraîchir la mémoire, le Roman de Renart est une grande saga médiévale dans laquelle les animaux sont anthropomorphisés : ils sont décrits comme des humains, prêtent allégeances au Roi Noble le lion, on peut les voir chevaucher des destriers, prier ou pêcher... D'autre part, ils gardent des comportements animaux à certains moments (un peu comme dans les fables, en somme). 
Renart est bien entendu le plus rusé, qui joue des tours pendables à tout le monde et cherche toujours à s'en mettre plein la panse.
 
Dans cette fresque animalière, on trouve trois personnages différents qui nous intéressent cet Été :
-1° : Un lapin nommé Sauteret (référence à ses bonds) qui assiste à l'enterrement de Renart
 
-2°: Un lièvre nommé Galopin qui n'apparaît que dans un seul épisode : il vient assister au procès de Renart, jugé pour tous ses méfaits.
Galopin comme aujourd'hui, signifiait au Moyen Âge : "jeune garçon qu'on envoie faire les commissions" (il doit donc galoper), "valet de cuisine", ou encore "bouffon, farceur". Le sens "enfant, mioche" est venu plus tard. C'est le pas du lièvre qui détale à toute vitesse qui lui a donné son nom dans le Roman de Renart.
Dans le même épisode, on précise que le lapin n'est pas venu assister au procès, au contraire de son cousin lièvre : "Le lapin, néanmoins, n'aurait pas pris soin de se déplacer, car il se dérobe beaucoup, mais seigneur Renart a fait trêve avec lui."
 
-3° : Enfin, personnage le plus important de la gent grandes-oreilles : Couard le lièvre. Pas besoin d'explication pour ce nom ! Notez cependant qu'étymologique, "couard" vient de "coue"="queue", et signifie "qui porte la queue basse". Or, comme vous le savez, le lièvre a une toute petite queue. Ce nom s'adapte donc à merveille à son physique et à son caractère.
 
Dans un missel du XIVe s., Renart emporte un coq sous l'oeil d'un lapin
 
Couard est, ainsi, le lièvre le plus souvent nommé. Il apparaît dans divers épisodes.  
 
Son nom, comme son personnage, sert à se moquer des gens peureux. Ainsi, dans un épisode où Renart est accusé d'avoir dévoré une poule (Coupée), la poltronnerie du lièvre sert à souligner, en contrepoint, le courage et la majesté du lion, le roi des animaux : "Il n'y a pas une bête assez hardie, ni ours, ni sanglier, qui n'ait peur quand leur sire crie et rugit. Couard le lièvre a une telle peur qu'il en aura la fièvre pendant deux jours."
 
 Psautier de Peterborough (XIVe s.)

Par la suite, Couard  connaît une guérison miraculeuse : Il perd sa fièvre sur la tombe de Dame Coupée, la poule qu'on vient d'enterrer :
" En effet, après qu'elle ait été enterrée, il ne veut plus se séparer d'elle, quitte à dormir sur la martyre.Et quand Ysengrin [le loup] entend dire qu'elle est une vraie martyre, il dit qu'il a mal à l'oreille. Ronel [le mâtin], qui est de bon conseil, le fait s'étendre sur la tombe, et il guérit aussitôt, ainsi qu'il l'affirme. Mais si ça n'avait pas été d'une bonne foi dont personne ne puisse avoir de doute, ou sans le témoignage de Ronel, la cour aurait cru que c'était un mensonge."
 
Ysengrin, Couard et Renart dans un manuscrit du XIVe s.

Je pense qu'il faut voir dans cet épisode une satire amusante des crédules et des peureux, si on tient compte du fait que :
- la "sainte" qui accomplit ce miracle post-mortem est une poule
- le mal de Couard est ridicule puisqu'il a la fièvre d'avoir eu peur... Au bout de deux jours, il s'est sûrement remis tout seul de sa frayeur, sainte ou non !
- le loup Ysengrin est un peu le benêt de l'histoire dans le Roman de Renart. Dans cet épisode, qui plus est, il se comporte comme un lièvre pleutre : on assiste donc à la guérison miraculeuse d'un loup qui a mal à l'oreille,  qui reproduit le comportement d'un lièvre peureux et reste couché pendant deux jours sur la tombe d'une sainte poule. Il y a de quoi rire !
- Enfin, la dernière phrase (=personne ne l'aurait cru sans témoignage) confirme le côté absurde de la situation. Le lièvre est une sorte de malade imaginaire, je doute que la poule enterrée ait pu faire grand-chose pour le soigner. 

(Petite remarque au passage : il n'est pas toujours aisé de différencier Renart d'un lièvre sur les manuscrits, car lui-même est fréquemment représenté avec des oreilles excessivement grandes, probablement pour accentuer son caractère "démoniaque")

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