Lièvres et sorcières en Irlande

Dans le folklore celtique irlandais, il semblerait que les lièvres ne soient pas seulement liés aux fées mais aussi aux sorcières. Cela étant, la différence entre les deux est minime : entre la naissance des légendes celtes et nos jours, le christianisme est passé par là et a métamorphosé les fées en sorcières. (Les fées, ou les magiciennes : pensez à Morgane la fée, par exemple, ou à Mélusine, qui ressemblent plus à des femmes qu'à des lutins ailés. La fée version "fée clochette" est une vision assez moderne de ce personnage ancestral du folklore)

 

(source)

Revenons-en à nos lièvres. Dans son livre Anciennes légendes, charmes mystiques et superstitions irlandaises, Lady Francesca Speranza Wilde écrit, au XIXe siècle : 

 

Les lièvres sont considérés comme porteur de malheur, car les sorcières prennent constamment leur forme afin d'entrer dans un champ où elles peuvent ensorceler le bétail. 

 

(D'après d'autres lectures, j'ajoute que les sorcières, qui par ailleurs étaient employées dans les fermes, pouvaient prendre la forme d'un lièvre pour voler les productions de leur maîtres. Ainsi, des légendes racontent comment des femmes-lièvres buvaient le lait des vaches ou grignotaient les grains.)

Lady Wilde poursuit :

 

Un jour, un homme tira sur un lièvre qu'il rencontra au petit matin et, l'ayant blessé, suivit la trace du sang jusqu'à ce qu'il disparaisse dans une cabane. En entrant, il trouva Nancy Molony, la plus grande sorcière de tout le comté, assise près du feu, gémissant et se tenant le côté. Et alors l'homme sut qu'elle était sortie sous la forme d'un lièvre, et il se réjouit de sa déconfiture.

 

Vous reconnaissez peut-être là la légende d'Oisin et du lièvre-fée dont nous avons déjà parlé, qui a donc été revisité version diabolique. 

 

(source)

 

Lady Wilde écrit encore : 

Néanmoins, tuer un lièvre avant le lever du soleil ne porte pas chance, même lorsqu'il croise votre chemin ; mais s'il traverse trois fois, rebroussez chemin, car le danger vous attend sur la route.

 

Pour justifier cette superstition, elle rapporte ce conte :

 Une fois, un tailleur rentrant chez lui très tard dans la nuit après une veillée, ou mieux, très tôt le matin, vit un lièvre assis sur le chemin devant lui, et n'ayant pas envie de s'enfuir. Comme il s'approchait, son bâton levé pour la frapper, il entendit distinctement une voix qui disait : "Ne le tue pas." Malgré tout, il a frappé le lièvre trois fois, et à chaque fois il a entendu la voix dire : "Ne le tue pas". Mais le dernier coup assomma le pauvre lièvre et aussitôt une grosse belette se redressa et se mit à cracher sur lui. Cela effraya grandement le tailleur qui,  attrapa le lièvre et s'enfuit aussi vite qu'il put. Le voyant si pâle et si effrayé, sa femme en demanda la cause. Il lui raconta toute l'histoire ; ils savaient tous les deux qu'il avait mal agi, et qu'il avait offensé quelque puissante sorcière, qui serait vengée. 

Ils creusèrent une tombe pour le lièvre et l'enterrèrent; car ils avaient peur de le manger, et pensaient que maintenant le danger était peut-être passé. Mais le lendemain, l'homme devint soudain sans voix et mourut avant la fin du septième jour, sans qu'un mot ne franchisse plus ses lèvres. Et alors tous les voisins surent que la sorcière s'était vengée.

 

(Notez que la belette, elle aussi, été réputée pour être un animal de sorcière : c'est pour ça que le tailleur en voit une après avoir tué le lièvre.)

Illustration de FINCH Ziablov

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Dans une légende du Dorset, on retrouve aussi ce motif : des chasseurs poursuivent un lièvre blanc qui se révèle être la gentille vieille dame qui gardaient leurs outils quand ils partaient chasser en rentrant des moissons sans repasser par chez eux. Certes, la vieille est une sorcière, mais dans cette histoire les paysans sont honteux et se promettent de ne plus jamais chasser de lièvre.