Salomon et les oiseaux

 Une légende turque, raconte que le prophète Salomon se fit un jour construire un trône somptueux. Quand il s'y installa, tous les oiseaux vinrent en hâte auprès de lui et déployèrent leurs ailes pour le protéger des ardents rayons du Soleil.Tous, vraiment ? Non ! Deux manquèrent à l'appel : c'était le Printemps, et le rossignol, enivré par le parfum des fleurs invita sa femelle à le suivre dans le jardin des roses pour courtiser les boutons à peine éclos. 

 

Or, l'absence des deux rossignol ne passa pas inaperçue : quand le Soleil filtra dans la place qu'ils auraient dû occuper et que Salomon se trouva dans la trajectoire de ses rayons, il se mit en colère. Quel était donc l'oiseau qui avait déserté ? Il demanda au Simorg et au Ankaa (deux oiseaux légendaires, un peu semblables au Phénix) de trouver qui était le fautif. Ni le Simorg ni l'Ankaa ne le savaient, mais le corbeau, lui, dénonça perfidement les rossignols. 

 

La rose et le rossignol, illustration turque du XVIIIe s.

 

Salomon pria alors le corbeau d'aller chercher les rossignols dans le jardin des roses. Mais ceux-ci firent la sourde oreille : 

 

"Tu es un délateur parmi les oiseaux, répond aussitôt le rossignol aux aigres paroles du corbeau ; et, plongé dans son amour pour le bouton de rose, il ferme ainsi l'oreille aux paroles du messager et aux ordres tout- puissants du prophète Salomon. Nous n'irons ni avec ni sans toi, quel que soit ce que Salomon veuille."

 

La rose et le rossignol, illustration turque du XVIIIe s.

 

Le corbeau, qui se sentait déjà investi d'une puissance royale d'être ainsi dépêché par Salomon en personne, repartit mécontent et alla rapporter à son maître la désobéissance des rossignols. Il espérait que le prophète se fâche et punisse les passereaux. Au contraire Salomon s'attendrit : Ah ! ces rossignols ! Quand vient la saison des roses, ils oublient tout le reste. Eh bien, tant pis, qu'ils continuent à profiter des fleurs, on se passera bien d'eux. 

Cette fois, c'en était trop pour le corbeau. Franchement mécontent, il rassembla les oiseaux et leur raconte ce qui vient d'arriver... Mais pourquoi les rossignols peuvent batifoler parmi les fleurs, alors que tous les autres doivent trimer sans relâcher pour satisfaire Salomon ? Quelle injustice !

Le corbeau parle si bien qu'il finit par convaincre son auditoire : tous les oiseaux prennent désormais en grippe les rossignols. 

 

La Conférence ds oiseaux par Fatima Zahra Hassan

 

Peu après, ils allèrent exposer la situation à Salomon : le corbeau  grossit le trait, exagère, et prétendit que les rossignols ont maudit de Salomon. Alors, le prophète se fâcha. Il envoya chercher les suspects et commença un véritable procès. 

Avant de les juger, Salomon voulait être sûr que le corbeau ait dit la vérité. Il demanda donc à tous les oiseaux de s'en porter garant. Ils furent interrogés tour à tour : le vautour, le paon, le pigeon, la huppe, le moineau... aucun n'y coupa, pas même la chauve-souris ! Chacun soutint qu'en effet, le rossignol avait insulté Salomon et que le corbeau disait vrai. Mais chaque fois, le rossignol, outré, dressait un portrait peu flatteur de l'oiseau qui venait de parler, et celui-ci ne savait plus quoi dire alors il se taisait. 

Ce n'est que quand vint le tour de l'hirondelle que la vérité commença à poindre : l'hirondelle ne voulait pas mentir, ni dire de mal de son ami le rossignol. Elle dit donc la vérité, à savoir que le corbeau avait affabulé et que le rossignol n'avait jamais médit de Salomon. A sa suite, la cigogne se dressa à son tour contre le corbeau. Celui-ci essaya encore d'obtenir gain de cause, mais les oiseaux avaient compris qu'il ne servait à rien de parler faux : ils avouèrent qu'ils avaient menti, et que le corbeau aussi. 

 

Salomon dans un manuscrit du XIIIe s.

 

Alors, Salomon rendit son jugement : 

 

"Que cet abominable corbeau à l'aspect néfaste, soit mis dehors [...] 

Quant aux autres oiseaux qui avaient porté de faux témoignages, chacun se les montrait, immobiles dans rassemblée. Alors le noble Salomon, — sur lui soit le salut, — donne un ordre à tous les oiseaux, un avertissement péremptoire, sans réplique, pour leur défendre, à partir de ce moment, d'admettre parmi eux le corbeau à la sinistre figure; et, depuis lors, les oiseaux ne souffrirent jamais que le corbeau se mêle parmi eux. 

Puis, le noble Salomon, ,— sur lui soit le salut,— porte une malédiction sur le corbeau : Qu'il soit à jamais occupé à dépecer des corps morts. Et, depuis lors, c'est là l'unique affaire de cet animal. 

Quant aux rossignols, en récompense de leur fidélité, il les dispensa et exempta absolument de tout service, et leur accorda le pardon de leur faute. — En outre il ordonna que quand, pendant le jour, lui, Salomon le prophète, — sur lui soient le salut et la bénédiction, — serait sur ce trône magnifique et orné de perles que nous avons dit, ils feraient entendre, devant ce même trône, leurs gracieux récits, leurs chansons si variées et leurs voix mélodieuses. La nuit, ils peuvent en paix, dans les jardins, les bosquets et les parterres des fleurs, adresser leurs douces requêtes et leurs amabilités à la rose et au bouton."

 

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Dans cette légende, le corbeau est donc vu comme un animal médisant, jaloux et menteur. En outre, on apprend pourquoi les corbeaux se nourrissent de charognes et ne fraient pas avec les autres oiseaux ! C'est aussi ce qui explique pourquoi les rossignols chantent la nuit : le jour ils sont avec Salomon !

(Cette légende a été traduite J. A. Decourdemanche et publiée dans la "Revue de l'Histoire des religions" en 1880. Vous pouvez en lire une version retranscrite numériquement (brute, donc avec beaucoup de coquilles) en cliquant ici)