Le Pañchatantra est un très ancien recueil d'apologues indiens, composés en sanskrit au IIIe s. av. J.C. Son titre signifie : Les Cinq Livres d'Instruction.
En effet, ce livre présente une structure proche des Mille et une nuits : il se compose de cinq grandes parties, elles-mêmes subdivisées en nombre de récits enchâssés les uns dans les autres. En gros, on a une structure en poupées russes : Truc raconte l'histoire de Machin qui raconte l'histoire de Bidule qui raconte l'histoire d'Untel...
et à chaque fois, ces histoires sont amenées pour justifier un propos
ou démontrer une thèse, d'où le nom de "livres d'instructions". En
outre, les textes sont émaillées de petites morales ou de proverbes.
Néanmoins,
il faut le prendre comme un recueil de contes : les histoires, bien
qu'elles véhiculent une morales, sont plaisantes à lire. Souvent, elles
ont pour héros des animaux anthropomorphes, comme dans les fables ou le Roman de Renart.
Ces histoires ont connu un grand succès de par le monde. Elles ont souvent été reprises par la suite, notamment dans la version persane Kalila et Dimna (ou fables de Bidpaï) au XIIIe siècle (la plupart des illustrations viennent de cette source).
Le Pañchatantra nomme plusieurs fois les corbeaux : il offre donc un bon moyen de savoir comment on considérait cet animal en Orient à cette époque.
Voyons déjà un peu quelques proverbes, ou morales, où le corbeau intervient :
*"Comme ils redoutent le pays étranger, comme ils sont très-paresseux et nonchalants, les corbeaux, les hommes lâches et les daims meurent dans leur pays."
(= peut-être par comparaison avec les oiseaux migrateurs, car le corbeau ne bouge pas beaucoup)
*Le corbeau
même vit longtemps et mange les restes des sacrifices
( = un misérable peut vivre heureux en se contentant de peu)
*La pureté chez le corbeau, la sincérité chez les joueurs, la patience chez
le serpent, le calme des désirs chez les femmes, le courage chez l'eunuque,
la méditation sur la vérité chez celui qui boit des liqueurs spiritueuses, un
roi ami, qui a vu ou entendu citer cela?
(= le corbeau sert ici d'exemple pour justifier des impossibilités)
*Il ne faut pas avoir trop d'attachement pour les femmes; sinon, la puissance
augmente chez les femmes, car elles jouent avec les hommes trop
attachés comme avec des corbeaux qui ont les ailes coupées.
(= ici les hommes qui se laissent manipulés par des femmes sont comparés à des corbeaux aux ailes coupées).
Manuscrit persan du XVIe s. montrant un corbeau lâchant une noix |
➡ Comme on le voit, le corbeau est tout de même assez mal vu dans ces proverbes. Il représente souvent les défauts.
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Outre les proverbes, on retrouve aussi plusieurs histoires qui parlent de corbeaux dans le Pañchatantra
Par exemple : Les corbeaux, le chacal et le serpent.
Illustration d'un album des éditions Iris (source) |
Un couple de corbeaux va demander conseil au chacal car un vilain serpent noir mange leurs bébés. Le chacal leur conseille alors d'aller voler la chaîne d'or d'un roi et de la jeter dans le trou du serpent. Ainsi fut fait. Les serviteurs du roi, cherchant le collier et le trouvant dans le trou du serpent, tuèrent celui-ci et les corbeaux furent tranquilles.
Illustration d'un album des éditions Iris (source) |
Illustration d'un manuscrit persan |
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Autre exemple d'histoire : Le Lion, le Corbeau, le Tigre, le Chacal et le Chameau
Le Lion avait trois fidèles sages à sa cour : le Corbeau, le Tigre et le Chacal. Un jour arriva un Chameau. Les conseillers voulaient le manger mais le roi Lion, curieux de cet étranger, lui offrit sa protection.
Illustration d'un album des éditions Iris (source) |
Un jour, le Lion et ses fidèles se battirent contre un éléphant. La bataille fut rude et ils vainquirent de justesse. A la fin, ils sont tous mal en point, surtout le roi qui est incapable de bouger. Le Lion envoie donc ses sujets lui chercher à manger. Le Corbeau et le Chacal aimeraient manger le Chameau, mais c'est impossible puisque le roi le protège... Ils mettent donc en place une stratégie : Corbeau, Chacal puis Tigre se présentent tour à tour devant le Lion et lui proposent de les manger. Voyant cela, le Chameau se dit qu'il doit agir de même. Quand il se dévoue, les autres n'hésitent pas : ils l'éventrent et s'en repaissent.
Moralité : "Plusieurs vils savants, vivant tous de tromperie, peuvent faire du mal le bien, comme le corbeau et les autres à l'égard du chameau."
Manuscrit persan du XIIIe s. |
Manuscrit persan du XVIe s. |
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Voilà maintenant une fable de Bidpaï : Le corbeau et la perdrix
Un Corbeau admirait la démarche d'une Perdrix ; il était
enchanté des grâces et de la légèreté de ses mouvements.
Il voulut l'imiter et se mit à suivre partout son modèle. La
Perdrix s'en aperçut : « Oiseau lourd et pesant, lui dit-elle,
tu veux m'imiter en vain; la nature m'a favorisée de ces
grâces que tu admires dans ma démarche, elle ne t'a pas
fait le même don ; inutilement tu veux la forcer, l'art ne
donne pas ce que la nature a refusé. »
Le Corbeau obstiné
ne voulut pas renoncer à sa folle entreprise; il ne put jamais parvenir à imiter la démarche de la Perdrix, il finit
par oublier la sienne.
Manuscrit persan du XIVe s. |
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Comme vous avez pu le remarquer, dans ces quelques histoires, le corbeau n'est pas très bien jugé... Mis à part dans Les corbeaux, le chacal et le serpent, où il ne fait que se défendre, il est plutôt jugé comme mauvais, gourmand et fournit un exemple à ne pas suivre.
Mais nous verrons dans les prochains articles qu'il existe certaines histoires persanes où le corbeau est montré de manière plus positive.
... d'accord, j'attends donc tes prochaines publications...
RépondreSupprimerLes illustrations anciennes sont magnifiques
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