vendredi 16 septembre 2022

La guerre des Hiboux et des Corbeaux

Le Troisième livre du Pañchatantra parle de la Guerre des Hiboux et des Corbeaux. Comme vous le devinez, l'argument principal est une bataille contre corbeaux et hiboux. Vous l'avez compris, l'histoire première est interrompue par nombre de récits intermédiaires (les fameuses poupées russes). Mais je me contenterai de vous parler uniquement de l'argument premier, celui qui nous intéresse le plus puisqu'il parle de corbeaux. ^^
 


L'histoire est introduite comme suit  : 

"Qu'on ne se fie pas à un ennemi précédemment combattu, même quand il est devenu ami. Vois la caverne pleine de hiboux consumée par le feu qu'y mirent les corbeaux."
 
Ce conte se déroule près de la ville de Mahilàropya où se dresse un figuier, demeure du roi des corbeaux Méghavarna (="Qui est de la couleur des nuages") qui y a bâti une forteresse. Non loin de là, dans une caverne montagneuse, vit le roi des hiboux Arimardana (="Qui écrase les ennemis"). Toutes les nuits, Arimardana rôde autour du figuier et tue tous les corbeaux qu'il rencontre
Un jour, le roi des corbeaux convoque ses ministres pour savoir comment lutter contre cet ennemi héréditaire.  
 
"Hé! notre fier et persévérant ennemi vient toujours, à l'approche de la nuit, pareil au dieu de la mort, et détruit notre race. Comment donc lui résister? Nous ne voyons certes pas pendant la nuit, cl le jour nous ne, découvrons pas sa forteresse pour y aller et l'attaquer. Dans celte situalton, lequel de ces moyens convient-il donc d'employer : la paix, la guerre, la marche, la défensive, le recours à une protection, ou la duplicité?"
 
Méghavarna consulte ses ministres
(manuscrit du XVIe s.)

 
Chaque ministre expose son point de vue : certains sont pour la guerre, d'autres pour la paix, pour l'offensive, pour la soumission, pour la tolérance mutuelle... Viens ensuite le tour de Sthiradjivin ("Qui a une vie dure") de parler. Sthiradjivin est le conseiller de l'ancien roi, un vieux corbeau pour qui Méghavarna a beaucoup de respect : il l'appelle "Père" avec déférence et tient en haute estime ses conseils. Ainsi, il lui demande d'où vient l'inimitié qui règne entre corbeaux et hiboux : depuis quand et pourquoi se font-ils la guerre. 
 

 
 
L'aïeul raconte alors que jadis, tous les oiseaux se sont réunis pour discuter d'un problème qui les préoccupait : ils avaient pour Roi Garuda (un aigle divin dans l'hindouisme) mais celui-ci ne se manifestait jamais dans leurs affaires. "A quoi bon ce souverain inutile qui ne nous protège pas, nous qui sommes inquiétés par les filets des chasseurs et par d'autres malheurs ?" Ils souhaitaient donc choisir un nouveau roi qui serait plus impliqué dans leur vie de tous les jours. Finalement, ils décidèrent que le Hibou serait leur nouveau roi, car il "avait de belles formes". 
On prépara le sacre du Hibou, mais alors que celui attendait ses sujets sur le trône, prêt à être couronné "un corbeau, annonçant son entrée par un horrible croassement, vint de quelque part dans l'assemblée. 
« Ah! pensa-t-il, que signifie cette grande fête dans laquelle sont réunis tous les oiseaux ? » 
Les oiseaux, quand ils le virent, se dirent entre eux : « Ah ! voilà le plus adroit des oiseaux, le corbeau, qui se fait entendre ».
 
Le corbeau est donc reconnu pour le plus malin des oiseaux. Quand les autres lui expliquent ce qu'ils s'apprêtent à faire, il modère leur enthousiasme : "Nez crochu, yeux de travers, air méchant et désagréable, tel est son visage quand il n'est pas en colère; comment est ce visage lorsqu'il est en fureur? Si nous faisons roi le hibou, affreux par nature, très-cruel, méchant et désagréable, quelle prospérité aurons-nous ?"
De plus, il rappelle aux oiseaux que Garuda reste leur roi, un souverain très puissant qui ne peut leur procurer que du bien, au contraire du Hibou. Son nom même suscite le respect ! Il démontre aussi qu'en prenant pour roi un oiseau nocturne, comme eux-même n'y voient rien la nuit, ils ne pourraient pas se fier à lui...

Tous les oiseaux s'accordèrent pour penser que le corbeau avait raison et partirent sans couronner le Hibou. Celui-ci se retrouva seul avec le corbeau et, comprenant qu'il avait perdu le trône à cause lui, il lui déclara une guerre éternelle.
 
Manuscrit du XVIe s.


Après avoir raconté les origines de la guerre, le sage Sthiradjivin expose son plan : son roi Méghavarna et tous les corbeaux doivent le battre cruellement puis quitter le figuier. Ainsi font-ils. Par conséquent, le soir, quand le hibou Arimardana arrive avec ses soldats pour tuer des corbeaux, ils ne trouvent que le vieux Sthiradjivi, couvert de sang et très affaibli. Celui-ci raconte que ses pairs l'ont pris pour un espion des hiboux et l'ont rossé pour le punir. Il leur demande miséricorde et les supplie de l'emmener avec eux car, dégoûté de sa race, il voudrait devenir un hibou. Arimardana se méfie de Sthiradjivin, mais d'un autre côté il songe que ce serait un atout pour les hiboux d'avoir un corbeau dans leur camp : ce traître pourrait leur indiquer l'endroit où sont partis se réfugier les corbeaux. 
 
Arimardana demande à ses ministres ce qu'il doit faire de Sthiradjivin
(Manuscrit du XVIe s.)


 
Ainsi, il conduit Sthiradjivin dans sa caverne et le garde sous étroite surveillance. Le vieux corbeau continue à jouer la comédie : sous prétexte de bâtir un nid, il amasse du petit bois. "Il jeta tous les jours un petit morceau de bois de la forêt dans son nid, pour incendier la caverne; et les sots hiboux ne s'aperçurent pas qu'il agrandissait son nid pour les brûler." 
Une fois qu'il a amassé suffisamment de bois, il s'envole vite prévenir Méghavarna : tous les corbeaux profitent du jour (qui affaiblit les hiboux) pour revenir à la forteresse avec des brandons et transformer le nid de leur espion en brasier. Prisonniers à l'intérieur de la fournaise, les hiboux terminent rôtis... et ainsi s'achève la guerre des Hiboux et des Corbeaux ! 
 


Manuscrit du XVe s.

Manuscrit du XVIe s.

BD inspirée de l'épisode par Luis Fernandez

***
Et voilà pour notre petite série d'article sur le Panchatantra ! J'espère que vous aurez aimé ces histoires de sagesse orientale 😉 Pour ceux qui en auraient la curiosité, vous pouvez lire en ligne ce texte à partir d'un ouvrage numérisé sur le site de la BNF. 

3 commentaires:

  1. quel muffle ce Syhiradjivin, c'est horrible ! Pauvres petits hiboux, tellement mignons sur l'image de la BD.

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    1. Les hiboux sont mignons, mais ils ne sont pas innocents non plus ^^

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  2. Le Panchatandra contient de bien belles histoires, bien illustrées. Je n'ai pas réussi à lire le texte en ligne :-(

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