Corbeau chez les Tahltans

 Comme je vous l'ai déjà mentionné, Corbeau est un personnage récurrent des récits amérindiens. Chez certaines tribus, il reste un personnage secondaire. Mais pour d'autre, il se trouve vraiment au centre de la cosmogonie. J'ai choisi de vous parler de la représentation de Corbeau dans la mythologie des Tahltans (peuple de l'actuelle Colombie-Britannique, au Canada). En effet, pour cette tribu, Corbeau occupe une place importante : il est le créateur de maintes choses et a façonné le monde tels que les humains le connaissent. 

Je vous ai résumé quelques-unes des histoires où il intervient, même s'il en existe de bien plus nombreuses...

 

(Photographie de Chris Rainier)

 

La jeunesse de Corbeau

 

Chez les Tahltans, Corbeau est le troisième fils d'une femme dont le frère est très méchant : il garde jalousement prisonnière sa propre femme, et il a déjà tué les deux frères aînés de Corbeau (il les emmène chasser en mer, puis les pousse hors du canoë pour les noyer). Dès son enfance, Corbeau est différents de ses frères : il aime créer toutes sortes de choses en sculptant le bois. Ainsi, quand son oncle l'emmène à la chasse et le pousse à l'eau, Corbeau jette un canoë en bois miniature : le bateau grandit immédiatement et le garçon peut regagner la terre ferme sain et sauf. 

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La fois suivante, quand son oncle veut l'emmener chasser, il refuse. Pendant que le vilain homme est en mer, Corbeau court chez lui pour y voir sa femme. Il constate qu'elle garde toujours les bras serrer contre elle. Étonné, Corbeau la force à ouvrir les bras : un geai bleu et un pic-vert s'échappent alors de ses bras, et la femme meurt aussitôt. Quand il revient de la chasse et trouve sa femme défunte, l'oncle comprend immédiatement ce qui s'est passé. Il entre dans une colère noire contre son neveu. Mais Corbeau s'enfuit à bord de son canoë, et il ne revient jamais chez lui. 

 

Corbeau créateur 

*Corbeau, toujours dans son canoë, longe des pays où les gens souffrent de la famine. Dans un coin de l'Océan, il rencontre un vieil homme assis sur un récif. Quand Corbeau lui demande de se lever, l'inconnu refuse 

"Si je me lève, l'Océan se videra", affirme-t-il. 

En effet, il est assis sur une sorte de trou par où s'engouffre l'eau si rien ne le bouche. Mais Corbeau ne l'entend pas de cette oreille : il tire le bonhomme pour le forcer à se lever, puis met sous lui des bâtons et des pierres très pointues. Quand le vieil homme veut se rassoir, il ne peut pas rester longtemps sans se relever, endolori par ces pièges. 

 

Illustration de Dale DeArmond

 

Ainsi, Corbeau s'assura-t-il qu'il laisserait la mer se retirer deux fois par jour. De cette manière, les humains pourraient aller ramasser les coquillages et pêcher, ce qui causa la fin de la famine... 

Et voilà comment Corbeau créa les marées. 

 

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*En ce temps-là, l'eau douce n'existait pas en dehors de la pluie. On ne trouvait que de l'eau salée, et les gens avaient soif. 

Un jour, Corbeau alla trouver Kanu'gu, l'homme qui détenait l'eau douce et ne la distribuait que chèrement. Il promit à Kanu'gu de travailler pour lui s'il voulait bien lui donner un peu d'eau. Kanu'gu accepta, et pendant qu'il allait puiser la précieuse boisson, Corbeau l'espionna pour savoir d'où il la puisait. Puis, il resta quelque temps avec Kanu'gu et travailla si bien le bois pour lui que son hôte ne s'en méfia plus du tout. 

Un jour, Corbeau fit croire à Kanu'gu qu'il était malade : pour le "soigner", Corbeau lui mit de l'urine dans les yeux, de sort de Kanu'gu resta aveuglé un long moment. Mettant à profit ce répit, Corbeau courut à la réserve d'eau secrète et brisa la citerne, de sorte que toute l'eau douce se déversa dans le monde. Quand Kanu'gu se rendit compte que quelque chose clochait, il se précipita chez lui. Mais trop tard, Corbeau avait déjà libéré l'eau ! Pour fuir Kanu'gu, Corbeau s'envola par le trou de fumée du tipi. Croyant le retenir, Kanu'gu ajouta du bois de pin dans son feu pour l'aveugler avec la fumée noire qui s'en dégagerait. Corbeau parvint à s'en tirer, mais dans l'aventure, ses plumes autrefois blanches se teintèrent de noir.

 

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*Un autre jour, Corbeau voulut manger des eulakanes (ou poisson-chandelle : petits poissons des cours d'eau d'Amérique). Mais on lui apprit que tous les eulakanes étaient détenus par un homme qui ne les donnait pas à n'importe qui. Il en avait donné à Héron, ainsi qu'à Goéland, mais il fallait vraiment être très bien jugé par l'homme pour recevoir de tels mets. 

Corbeau tenta sa chance, mais l'homme aux eulakanes ne lui donna quelques minuscules spécimens. Corbeau usa donc de ruse : il fit croire à Héron que Goéland avait dit du mal de lui, et fit croire à Goéland que Héron l'avait moqué. Les deux oiseau se battirent et s'entredéchirèrent la panse. 

 

Illustration de Dale DeArmond

Corbeau s'empara des eulakanes qui s'en échappèrent et les mit dans son canoë. Il brisa ensuite des coquillages brillants et en couvrit sa peau et son bateau pour faire croire qu'il s'agissaient d'écailles de poissons. Puis il retourna voir l'homme et lui dit : "Tu vois, moi aussi je sais où pêcher nombre d'eulakanes !". Quand il avisa cela, l'homme le prit pour un grand seigneur. Il lui servit beaucoup d'eulakanes... mais il prit soin d'enfermer Corbeau dans son tipi jusqu'à ce qu'il est fini de manger. Toutefois, Corbeau était plus malin : il sortit par le trou de fumée, se percha sur un arbre et recracha dans le fleuve tous les eulakanes qu'il avait caché dans son bec. C'est depuis lors qu'on trouve de tels poissons aux embouchures des cours d'eau. 

 

 

Illustration d'Harold Jacobs

*Corbeau est aussi à l'origine du frai du saumon : autrefois, les saumons ne vivaient que dans la mer. Corbeau porta des œufs dans les criques et les rivières, et décréta que chaque année les poissons reviendraient là où ils seraient nés. C'est aussi lui qui apprit aux peuple comment pêcher, nettoyer et sécher le saumon.

 

Illustration de Dale DeArmond

* Corbeau a fait bien d'autres choses encore pour le bien de l'humanité. Par exemple : 

- Ce fut  lui qui créa la naissance et la mort pour que les populations se régulent.

- Il a créé les lacs poissonneux, car jadis il n'y avait que des rivières

- Il a volé la poix et l'a caché dans les résineux pour que les Hommes le trouve, leur a appris à pêcher le flétan avec un harpon...

- Autrefois, seuls les gens du Roc possédaient le feu, mais avec l'aide d'un oiseau aquatique, Corbeau leur a dérobé le feu et l'a mis dans les arbres. Ainsi, maintenant, on peut allumer un feu à la fois en frottant des pierres ou en se servant de bois. 

- Il a stabilisé la Terre en la lestant avec un gros morceau de glace pour éviter qu'elle bascule et qu'il y ait un autre déluge, car en ce temps-là elle n'arrêtait pas de trembler et de bouger...

 

Illustration de Dale DeArmond

 

Corbeau donne forme aux animaux 

 

 *Ce fut lui qui rendit Grizzly, autrefois meurtrier, moins dangereux pour l'Homme : Corbeau fit manger à l'ours des pierres ardentes qui lui brûlèrent l'estomac et lui firent perdre son pouvoir (c'est aussi pour ça que, paraît-il, l'estomac des ours est rayé).

 

Illustration de Dale DeArmond

 

 

*Une autre fois, Corbeau invita tous les oiseaux et leur peignit les plumes... mais la fête finit par dégénérer : Corbeau leur annonça qu'ils allaient partir en guerre contre le Grizzly. Les oiseaux, effrayés, s'enfuient. Ils ont gardé leurs couleurs, mais chez certains, leurs "cheveux" sont restés d'effroi sur la tête, voilà pourquoi ils ont une crête.

 

Illustration de Dale DeArmond

Peu après, Corbeau partit en guerre contre Grizzly qui lui gardait rancune. Les oiseaux et les petits mammifères qui répondirent à son appel furent affublés de peintures de guerre, ce qui peaufina les détails de leurs plumages et de leur fourrure. Par exemple, les écureuils tamias reçurent leurs rayures, le rouge-gorge sa tête rouge et le plongeon dut porter un grand poignard, voilà pourquoi il a désormais un bec si long.

Avant de partir pour se battre, Corbeau cuisina un bon repas pour ses troupes. Mais il eut le malheur de servir de la viande, ce qui ne convint pas du tout aux oiseaux. Comme ils grommelaient, Corbeau s'énerva. Effrayés, les oiseaux s'envolèrent et se dispersèrent, qui dans la forêt, qui dans la montagne, qui vers les lacs ou la mer... Voilà pourquoi les oiseaux ne vivent pas tous au même endroit aujourd'hui. 

 

(source)

Quand tous les oiseaux furent partis, Corbeau se retrouva seul au pied de l'arbre. Railleur, il déclara : "Eh bien, l'arbre, puisque tu es le seul à ne pas avoir fui, c'est toi qui mangera la chair de l'ours !" L'arbre savait que Corbeau se moquait de lui (a-t-on déjà vu un arbre manger de l'ours ?!), aussi se vengea-t-il en le frappant de ses branches et en tendant ses racines devant lui pour le faire achopper.

Ainsi Corbeau apprit-il qu'on ne se moque pas impunément de la nature : si on se moque d'un arbre, il se vengera, si on se moque de l'eau, on sera inondé, si on se moque de la neige, on risque une avalanche...

 

 *Autrefois les crapauds étaient gigantesques et tuaient les gens, mais Corbeau leur a fait perdre leur pouvoir en sautant dans la bouche de l'un d'eux et en le tuant de l'intérieur. 

 

*Il a aussi aidé les Hommes à vaincre un malicieux Lapin : tous les Hivers, Lapin courait devant les garçons, lesquels le pourchassaient. Quand ils arrivaient sur de l'eau gelé, Lapin faisait souffler un vent qui rendait toute fine la glace : elle craquait et le garçon se noyait dans l'eau glacée. Mais Corbeau a poussé Lapin dans son propre piège. Alors que celui-ci allait se noyer, Corbeau l'a tiré par les pattes : c'est depuis cet épisode que les lapins ont des ergots, afin de pouvoir courir à pas de velours mais s'accrocher sur la neige et la glace. 

Illustration d'Aaron Paquette

*Corbeau s'est aussi rendu chez la Mère-Gibier et a modifié l'apparence des animaux pour permettre aux Hommes de les attraper (par exemple, il a coupé les pattes des ours de moitié, ou a rendu toutes fines les pattes des cerfs pour les rendre moins rapides). 

 

Pourquoi Corbeau est ainsi fait ? 

 

Plusieurs histoires évoquent des particularités du corbeau. Nous avons déjà mentionné celle qui raconte pourquoi il est noir (depuis le vol de l'eau douce). En voici d'autres :

*Une fois, Ours a invité Corbeau chez lui. Ils ont mangé un fastueux repas et Corbeau s'est senti obligé de lui rendre la pareille. Il a bati une grande maison, mais quand Ours est arrivé, il n'avait rien à manger. Il a alors plongé ses pattes dans le feu pour faire comme s'il voulait verser de la graisse dans un plat... Mais cette parade n'a servi qu'à lui brûler les pattes : voilà pourquoi il n'a plus de plumes à cet endroit. 

Quand Ours a vu ça, il a déclaré que ce n'était pas grave si Corbeau n'avait rien à lui offrir, et qu'il ne pouvait supporter de le voir souffrir... C'est depuis cette histoire que, parfois, des gens ont beaucoup à donner tandis que d'autre n'ont pas de nourriture.

*Une histoire raconte aussi qu'une nuit, des Hommes pêchaient et ont, par mégarde, crocheté le nez de Corbeau qui mangeait leurs appâts. Son nez fut arraché quand les pêcheurs tirèrent sur la ligne... Il put le récupérer, mais aujourd'hui encore, on a l'impression que le corbeau a le bec cassé (avec comme une ligne plus claire à sa base).

 

Illustration de David Lang

 

*Un autre  jour, Corbeau arriva près d'une maison qui semblait inhabitée mais devant laquelle se trouvait un magnifique harpon. A la nuit tombée, comme personne n'était revenu, Corbeau voulut se saisir de l'outil pour le reproduire, car il n'en connaissait pas de semblable. Mais quand il tenta de s'en emparer, il reçut un coup qui lui brisa les jambes... Cette maison était en fait habitée par des fantômes. 

Quand Corbeau se justifia, ils voulurent bien lui apprendre à fabriquer des harpons semblables : ils lui donnèrent des os de côtes et lui dirent comment les affûter. Corbeau pu repartir avec ce nouveau savoir pour l'offrir aux Hommes... mais depuis qu'il a affronté les fantômes, il a gardé le pied crochu (ses serres) et une démarche boiteuse. C'est également ce qui explique pourquoi les côtes flottantes sont plus petites que les autres... Voilà aussi pourquoi les fantômes se manifestent la nuit et sont invisibles... mais si Corbeau a pu les voir, peut-être nous arrivera-t-il, à nous aussi, d'en voir un jour...

 

Le Départ de Corbeau

 

Nul ne sait ce qu'il est advenu de Corbeau une fois finies ses pérégrinations créatrices... Une chose est sûre : il ne revint jamais chez lui. Selon une histoire, un jour, bien longtemps après lui avoir dérobé l'eau douce, Corbeau rencontra à nouveau Kanu'gu sur son canoë. Tous deux étaient très vieux et fatigués. Malgré leur différend passé, ils se saluèrent comme de bons amis.  Alors, Kanu'gu tira son chapeau et s'en échappa une brume épaisse. Les deux bons vieux tricksters s'en allèrent en pagayant derrière le brouillard, et on raconte qu'ils vivent toujours cachés sur un récif, derrière les nués...

 

Scultpture d'Hib Sabin

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La plupart des légendes de cet article sont tirés du 32e volume du Journal of American Folklore publié en 1919, et que vous pouvez lire en ligne en cliquant ici (l'article étant en Anglais, j'ai tenté de vous traduire et de vous résumer ce cycle du mieux que j'ai pu).

Le Corbeau Arc-en-Ciel

Le mythe du Corbeau Arc-en-Ciel (ou Rainbow Crow en anglais) est devenu très célèbre dans la littérature anglophone car il symbolise l'altruisme. 

Il s'agit d'une légende des amérindiens Leni-Lenapes (ou Loups, ou Delawares). 

 

Contrairement à la plupart des histoires, dans ce conte, les corbeaux ne sont pas blancs au départ, mais ont de splendides plumes de toutes les couleurs : il s'agit des plus beaux oiseaux du monde. 

Une année, l'Hiver fut particulièrement rude. Les animaux souffraient et ne savaient plus que faire pour survivre. Ils décidèrent d'aller demander de l'aide au Grand Esprit, mais comment le trouver ? Le Corbeau Arc-en-Ciel se dévoua et monta jusqu'au Grand Esprit pour expliquer leur problème. Celui-ci, touché, lui offrit du feu pour qu'il aille réchauffer les autres créatures. 

Le Corbeau Arc-en-Ciel, tout joyeux, redescendit sur Terre muni de sa branche enflammée. Mais durant le voyage, le feu brûla ses plumes... Malgré la douleur, il ne lâcha pas son fardeau jusqu'à l'avoir offert aux autres. Voilà pourquoi son plumage est tout noir... Mais si on regarde bien, on peut y voir des reflets irisés, souvenir de ses anciennes couleurs. 

 

Illustration d'Heather Achey

Illustration par Lionsong

Une autre légende parle d'un corbeau aux couleurs d'arc-en-ciel, mais celui-ci est égoïste et orgueilleux : il refusait de se mêler aux autres oiseaux car il se trouvait plus beaux qu'eux. Un jour, il vit un incendie et trouva le feu encore plus magnifique que lui avec les multiples couleurs des flammes : violettes, rouges, oranges, bleues, vertes... Il pensa qu'en se jetant dans le brasier il réussirait à prendre ces nuances... mais il ne réussit qu'à se carboniser les plumes !

Comment le Corbeau devint noir (mythes amérindiens)

Les différents peuples amérindiens possèdent plusieurs mythes qui expliquent pourquoi le corbeau, jadis blanc (ou parfois gris), devint noir. Nous en avons déjà vu un hier... En voilà d'autres aujourd'hui !

 

Selon les Niitsitapi (Blackfeet ou Pieds-Noirs), Corbeau, qui était fort gourmand, cacha un jour tous les bisons pour que les humains ne puissent plus s'en nourrir. Fâchés, les chasseurs capturèrent Corbeau et le placèrent au-dessus du trou de leur tipi par où sort la fumée : c'est ainsi que les plumes du corbeau noircirent. 

 

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Dans un conte sioux, les corbeaux blancs passaient toujours l'Hiver au Sud pour avoir moins froid. Mais un jour, leur chef proposa qu'ils restent sur place pour éviter la fatigue du voyage : d'après lui, leur couleur blanche leur permettrait de se camoufler dans la neige, et ils étaient assez malin pour trouver leur nourriture même dans le froid. Evidemment, quand vint l'Hiver, les corbeaux furent frigorifiés. Pour se réchauffer, ils se rapprochèrent des feux des hommes. La fumée et la suie salirent leurs plumes, voilà pourquoi ils devinrent noirs.

Illustration de Dale Dearmond

 

 

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Dans un mythe Cherokee, le feu appartenait au Grand Tonnerre qui habitait tout en haut d'un arbre. Les oiseaux voulurent aller le lui prendre pour en profiter eux aussi. Le Corbeau y alla en premier, mais quand il s'approcha, il constata que ses plumes noircissaient sous la chaleur : alors il fit demi-tour sans le feu. Le Hibou Petit-Duc y alla ensuite, mais la fumée lui irrita les yeux, c'est pourquoi il ne voit plus pendant la journée. Puis, le Grand Duc et la Chouette Tachetée s'allièrent pour voler les braises. Ils y parvinrent mais furent aveuglés eux aussi et les brandons laissèrent des marques blanches autour de leurs yeux. 

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Autrefois, Corbeau et son cousin, le Plongeon Huard, avaient pris forme humaine pour vivre parmi les Hommes. Un jour, pour se plier à la coutume, ils décidèrent de se tatouer mutuellement. Dans une grande marmite, ils mélangèrent de la graisse et du charbon. 

Plongeon passe en premier : Corbeau le tatoua délicatement sur le tout le corps. C'est de là que viennent les harmonieux dessin sur le plumage de cet oiseau.

Puis vint le tour de Corbeau. Mais il était tellement impatient et tellement pressé que son cousin le tatoue, qu'il lui jeta un poignée de cendre dans le dos, afin de l'inciter à se dépêcher tandis qu'il touillait l'encre.  Plongeon s'en trouva fort marri, car cette cendre laissa une traînée grise dans son dos, qu'on peut encore voir aujourd'hui sur l'oiseau. Agacé par le geste du Corbeau qui avait gâché son tatouage neuf, Plongeon souleva la marmite et la renversa complètement sur son cousin, puis il partit en pleurant. 

Voilà pourquoi, aujourd'hui, le corbeau est tout noir. 

Mais voilà aussi pourquoi les yeux du corbeau sont brillant comme de l'encre, tandis que ceux du plongeon semblent gonflés de pleurs. 

 

Plongeon huard (source)

 

(Une version inuit remplace le Plongeon par une Chouette Harfang)

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Autrefois, alors que le monde était encore plongé dans les ténèbres, le Corbeau était un oiseau blanc. Il aimait tendrement la fille d'Aigle Gris, et cet amour était réciproque. En attendant qu'ils se marient, Corbeau alla rendre visite à sa fiancée chez son père. Il découvrit alors qu'Aigle Gris gardait jalousement le Soleil, la Lune, les étoiles et le feu dans son tipi. Corbeau trouva ce comportement odieux et injuste : il pensait que le tout le monde, les Hommes et les autres animaux, devraient pouvoir jouir de ces trésors. Voilà pourquoi, profitant de l'absence d'Aigle Gris, il déroba un à un ses biens. 

Il commença par le Soleil : il le prit dans son bec, s'envola par le trou du haut du tipi, et alla l'accrocher dans le ciel. Il fit de même avec la Lune puis les étoiles... restait le feu. Mais quand le corbeau s'en empara, la fumée n'arrêtait pas de lui venir dessus, de l'aveugler et de le faire tousser. Par mégarde, le voleur laissa échapper quelques étincelles qui vinrent se déposer sur le sol et furent absorbées par les pierres. 

A cause de la fumée (ou, selon certaines versions, par punition par les Dieux), le plumage du corbeau devint noir. Quant aux hommes, qui désormais pouvaient jouir de le Lune, des étoiles et du Soleil, ils découvrirent en sus qu'ils pouvaient produire du feu en frottant deux pierres l'une contre l'autre.

(Une version légèrement différente raconte que le Corbeau, se rendant compte qu'Aigle Gris gardait la lumière prisonnière dans son tipi, se transforma en aiguille de sapin. Il se laissa tomber dans l'eau d'une rivière qui fut puisée par la fille d'Aigle Gris. Celle-ci but le corbeau-aiguille sans s'en apercevoir. Dans le ventre de la jeune fille, Corbeau grandit et finit par renaître sous la forme d'un bébé mi-homme mi-oiseau. Aigle Gris aimait beaucoup son petit fils, lequel finit un jour par le convaincre d'ouvrir devant lui la boîte où il conservait la lumière. Aussitôt, le corbeau ouvrit le bec, saisit la boule de lumière et s'envola par le trou de fumée du tipi : c'est ainsi que le Soleil est entré dans le ciel.)

Illustration de Dale DeArmond

Comment naquit le Corbeau ?

 Comment est apparu le premier corbeau ? 

Voilà ce que raconte une légende amérindienne du peuple abénakis... qui nous raconte en outre pourquoi, de tous les oiseaux, il est le plus noir et celui à la voix la plus rauque.

 

Quand le grand Créateur Tabaldak créa le monde pour les Hommes, il mit sur Terre toutes sortes de plantes et d'animaux afin de subvenir à leurs besoins. Les Hommes étaient ravis : ils jouirent de ce grand jardin pendant tout le Printemps, l’Été et aussi l'Automne. Mais lorsque l'Hiver vint et que l'Ours Blanc jeta sa pelisse sur le monde, les Abénakis se réfugièrent dans leurs tipis pour se garder au chaud. Les adultes, raisonnables, attendaient patiemment que le Printemps reviennent. Mais les enfants, eux, étaient contrariés : ils s'ennuyaient !

 

Quand Grand-Maman Marmotte vit cela, elle alla voir Tabaldak et lui dit : "Tu as créé toutes sortes de choses pour satisfaire les adultes, mais mes petits papooses se morfonde dans cet Hiver sans fin, ce n'est pas juste !"

Tabaldak promit d'arranger les choses. Quand le Printemps fut de retour, il observa que les papooses s'amusaient beaucoup avec les feuilles des arbres. Il pensa alors : "Si les enfants avaient toujours des feuilles pour jouer pendant l'Hiver, ils ne s’ennuieraient jamais !". 

 

Malheureusement, toutes les feuilles tombent avant l'Hiver... Finalement, il trouva alors une solution : il prit des feuilles et les transforma en oiseaux. 

Les enfants furent comblés de cette nouveauté ! Pendant tout le Printemps, l’Été et aussi l'Automne, ils jouèrent avec les oiseaux. Mais lorsque l'Hiver vint et que l'Ours Blanc jeta sa pelisse sur le monde, ils se trouvèrent fort chagrinés : dans sa précipitation, Tabaldak n'avait pas donné de couleur aux oiseaux. Tous étaient aussi blancs que la neige, ce qui les rendait difficile à voir dans le paysage et ce qui les rendait moins amusant. 

Quand elle vit le désappointement des enfants, Grand-Maman Marmotte retourna voir Tabaldak et lui reprocha  : "Tu es allée un peu trop vite en besogne ! Tes oiseaux blancs n'ont rien d'amusant pour mes papooses!". 

Tabaldak promit d'arranger les choses.

 

Quand le Printemps fut de retour, il observa la nature. Il sélectionna alors toutes sortes de couleur sur les arbres, les fleurs, les ruisseaux... Puis, il appela tous les oiseaux, leur demanda de se mettre en rang, et commença à les peindre un par un. 

L'oie passa en première et lui donna l'une de ses plumes pour qu'il puisse peindre les autres. "Quant à moi, je resterai blanche, proposa-t-elle. Et deux fois par an, au Printemps et à l'Automne, je passerai au-dessus des tipis pour rappeler aux enfants tout ce que tu as créé pour leur vie et leur amusement".

 

Illustration de Tomie de Paola

 

 Tabaldak se mit donc au travail. Avec le rouge et le jaune il colora le chardonneret. Avec le bleu il peignit la mésange. Avec le brun il teinta le faucon... et ainsi de suite. 

Mais tandis qu'il peignait, un oiseau plus tapageur que les autres venait le distraire, piaillait autour de lui, lui donnait de petit coups de bec pour l'enjoindre de se hâter ou de le peindre en premier. Tabaldak, patient, repoussa l'oiseau tapageur par deux fois. La troisième fois, alors que son tour venait enfin, l'oiseau était tellement excité qu'il renversa tous les pots de teintures, au grand dam de Grand-Maman Marmotte qui surveillait avec intérêt cet atelier de peinture.  

Toujours avec calme, Tabaldak ramassa la peinture qui, en se mélangeant, était devenue noire. Mais quand il attrapa l'oiseau tapageur, il lui déclara : "Telle as été ta volonté et telle sera la mienne : Corbeau, tu seras toujours un oiseau aussi tapageur et noir que tu l'as été aujourd'hui. Ton vol sera lourd et bruyant, on t'entendra venir de loin et tout le monde te craindra, aussi bien les petits animaux que les hommes". Ainsi Tabaldak peignit-il le corbeau impatient en noir. 

 

Illustration de George Littlechild

Mais vint ensuite le tour d'un oiseau bienveillant, qui regrettait les bêtises de son frères. Il ne voulait pas que seul le corbeau ait des plumes noires... par ailleurs, il aurait aimé être coloré avec touts les couleurs de la création, pouvoir voler haut dans le ciel, et tournoyer comme un arc-en-ciel afin de montrer aux enfants toute la puissance du Créateur. Mais puisqu'il ne restait qu'une teinte noirâtre dans les pots mélangés de Tabaldak, il ne pouvait plus recevoir aucune autre couleur. Ému par ce noble oiseau, le Créateur lui peignit le bout des ailes en noir, ainsi que la queue et lui dit :  "Telle as été ta volonté et telle sera la mienne : Aigle, tu seras toujours mon oiseau. Tu voleras haut et vite dans le ciel, et ton cri et tes cercles rappelleront à tous que c'est moi qui ai créé le monde et ses oiseaux. Les oiseaux t'admireront et pour t'honorer, ils te représenteront en haut de leurs totems."

Ainsi Tabaldak donna-t-il à l'Aigle toute sa lumière, alors que le Corbeau se trouvait plongé dans l'ombre...

 

Illustration de Tomie de Paola

 

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Une légende japonaise raconte à peu près la même chose, sauf que c'est une chouette qui peint les oiseaux. Elle prépare une belle couleur bleu pour le corbeau, mais il est tellement impatient qu'il chamboule tout, mélange trop vite se barbouille et devient noir... Ainsi est née l'inimitié entre corbeau et chouette (on retrouve encore ces chamailleries entre corbeau et chouette, qu'on avait déjà vu dans la mythologie gréco-romaine à propos des oiseaux d'Athéna/Minerve) 

Vous pouvez lire cette version en cliquant ici.

Le Corbeau pour les peuples amérindiens

Les tribus amérindiennes qui peuplaient déjà l'Amérique avant l'arrivée des colons Européens, avaient chacune leurs propres croyances et leurs propres mythologies. Néanmoins, la plupart du temps, les histoires et les divinités se recoupent. 

Ainsi, certains personnages se retrouvent dans toutes (ou beaucoup) de culture. C'est par exemple le cas de Coyote... et du Corbeau. 

 

Trois trickster : Corbeau, Coyote et Lapin, par Isadora Jimenez

Ce personnage de Corbeau, aussi appelé Raven par anglicisation, prend des appellations différentes selon les idiomes de chaque nation, bien sûr. On l'appelle Tse'sketco (pour les Tahltan), Txamsen (Tsimshian), Guguyni (Nuu-chah-nulth), Xhuuya ou Nankil'slas (Haida), Kwekwaxa'we (kwakwaka'wakw), Báyaḳ  (Quileute), Yéil (Tlingit)... 

 

Costumes de corbeaux Haida (source)

 

 

Néanmoins, et quel que soit le nom qu'on lui donne, pour toutes ces nations, le corbeau est à la fois :

- Un être mi-homme, mi-oiseau : comme souvent dans ces mythologies, les personnages des histoires sont des animaux anthropomorphes. Ils portent des noms d'animaux et ont certains de leurs attribuent (bec, plumes et ailes pour le corbeau par exemple), mais il leur arrive de se conduire comme des humains (par exemple, parfois Corbeau a des bras et des mains).

- Un héros créateur : dans certaines mythologies amérindiennes, Corbeau a créé le monde et les Hommes. Même si ce n'est pas le cas, il a mis en forme le monde (notamment en volant la lumière) et a créé d'autres éléments indispensables : il a façonné le paysage ou donné tel attribut à tel animal, par exemple.

- Un trickster, ou farceur : Corbeau vole, joue des tours, ruse... De même que le rusé renard, c'est un héros trickster : ni bon ni mauvais, il est souvent les deux. Même si ses histoires ne racontent pas forcément une création, elles peuvent donner des exemples et des morales (type : comment -ne pas- se comporter), ou tout simplement fournir l'occasion d'une franche rigolade.  

 

Par ailleurs, certains peuples possédaient une tribu du Corbeau, et les Crows (Corbeaux) ou Absaroka représentent une tribu  importante de la région du Montana.

 

Illustration de Gerald McDermott

 

 

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Ces prochains jours, nous verrons plus en détails certains histoires mettant en scène Corbeau en tant que personnage de légendes amérindiennes. Mais je vais déjà vous donner quelques exemples pour illustrer cet article

*Dans une histoire racontée dans le Puget Sound, Corbeau habitait jadis le monde des esprits mais il s'ennuyait. Il décida alors de voyager et s'en alla en emportant une pierre dans son bec. Il vola pendant longtemps au-dessus d'un grand océan. Jusqu'à ce que, fatigué, il laisse tomber sa pierre : c'est ainsi que fut créée la terre des Hommes, lesquels habitent sur cette pierre lâchée par Corbeau. 

 

Illustration de Mindy Dwyer

 

*Nous avions déjà mentionné un conte inuit où le corbeau joue un rôle dans l'apparition de la lumière. Une autre légende inuit raconte comment il créa les îles Aleutians : en balayant la poussière qu'il y avait chez lui. 

Illustration de Dale DeArmond

 *Selon les Haïdas, Corbeau a créé les Hommes en les découvrant dans un coquillage.
 

(Source)

*Si le Grand Corbeau est un créateur selon les peuples amérindiens, c'est aussi à lui qu'on doit la mort. Ainsi, pour le peuple Haïda, après avoir créé le monde et trouvé les premiers Hommes, Corbeau fabriqua de nombreux humains à partir des rochers et des feuilles. Les gens issus des rochers étaient très dures et très longs à façonnés, tandis que ces des feuilles étaient faciles à créer. Ces derniers étaient ravis de pouvoir gambader alors que leurs frères n'étaient pas encore fini. Pour pallier cette injustice, Corbeau leur annonça que, comme les feuilles des arbres ils devraient tomber et pourrir dans la terre : c'est ainsi que la mort commença.  

 

(source)

 *Pour les Tsimshian, Corbeau occupe une place majeur dans la création du monde. Il est le fruit d'une renaissance : un chef et sa femme avaient autrefois un fils bien aimé qui tomba malade et mourut. On le vida de ses entrailles et on allongea son corps sur son lit. Mais quelques temps après, quand la mère revint pleurer sur le cadavre, elle trouva un nouveau garçon à sa place. Les parents étaient très heureux mais inquiets, car leur nouveau fils ne mangeait rien... jusqu'au jour où des serviteurs lui donnèrent des croûtes à manger. Dès qu'il les eut goûté, il fut pris d'un grand appétit. Il dévora toutes les provisions de ses parents et de sa tribu. Ce voyant, son père comprit qu'il n'aurait jamais assez à manger ici. Il lui donna un manteau en plumes de corbeau et l'envoya de par le monde pour qu'il trouve de quoi se sustenter. 

C'est ainsi que l'enfant devint Corbeau, et c'est depuis que le corbeau passe pour vorace. Pendant son voyage, Corbeau accomplit plusieurs transformations et créations. Certaines histoires disent qu'il a un frère, sorte de double maléfique, nommé Logoloba.

 

*Les Kitasoo racontent quant à eux qu'autrefois le monde était recouvert de neige. Corbeau, qui était tout noir, fut attiré par cette planète blanche et vint s'y installer. Mais un jour, il se lassa de tout ce blanc et commença à créer des choses pour la colorer : la terre, l'herbe, les plantes, les animaux... Néanmoins, il lui manquait quelque chose pour se sentir chez lui. Il alla donc chercher la Grande Ourse dans le ciel et la plaça sur Terre avec lui. L'ourse étant blanche, elle rappelait à Corbeau son passé dans le monde enneigé. Ce sont les descendants de la Grande Ourse qui, aujourd'hui encore, sont blancs (les ours Kermode, ou ours esprits).

 

Illustration de Dale DeArmond