Philosophie Disney : Mowgli, Tarzan et Peter, les "bons sauvages".

Peter et Elliott le dragon, le film dont je vous ai parlé hier, met en scène un petit garçon perdu dans la forêt et qui grandit, loin de la civilisation, grâce à l'aide d'un dragon.

Cette histoire d'un enfant perdu, d'un enfant sauvage, n'est pas nouvelle chez Disney. On la retrouve notamment avec Mowgli (dans Le Livre de la Jungle, 1967), qui est élevé par des loups...

 ... Ou avec Tarzan (héros du film homonyme) qui grandit auprès de gorilles...

*Ces histoires nous viennent en fait du mythe du "bon sauvage", qui s'est développé dès l'Antiquité à travers la célébration de l'Âge d'Or. 

Le poète grec Hésiode est l'un des premiers à faire allusion à cet Âge (ou race) d'Or, dans son poème "Les travaux et les jours" (8ème siècle avant J.C). Il découpe en effet l'histoire de l'humanité en quatre période : la race d'Or vivait sous le règne de Cronos  (roi des Titans et père de Zeus) dans un état de bonheur parfait...: 

 "Les hommes vivaient comme des dieux, le cœur libre de soucis, à l’abri des peines et de la misère. Ils ignoraient même la vieillesse et, bras et jambes toujours vigoureux, ils trouvaient leur plaisir dans les banquets, bien loin de tous les maux [...] La terre, féconde, produisait d’elle-même un fruit abondant et généreux ; et eux, paisibles et tranquilles, administraient leurs domaines et vivaient dans l’opulence."

Malheureusement, quand Zeus s'empara du trône de son père, la condition de l'humanité se dégrada peu à peu. Se succédèrent alors les races d'argent, de bronze puis de fer (cette dernière étant la notre, car elle a su manier le fer pour construire des armes mortelles), précédées d'une race des héros (un renouveau glorieux pour l'humanité qui n'a duré qu'un temps, celui pendant lequel ont vécu des personnages mythiques tels qu'Ulysse, Énée, Hercule...).

L'âge d'Or peint par Lucas Cranach (1530)

Les romains s'emparent de ce mythe des races, qu'ils rebaptisent "âges". Ainsi, Ovide (Ier siècle), pour n'en citer qu'un, écrit que pendant l'âge d'or : "La terre donnait libéralement toutes choses, sans y être contrainte par la bêche ou par la charrue ; et les hommes satisfaits de ce qu’elle donnait d’elle-même, faisaient leurs meilleurs repas des fruits qu’ils trouvaient dans les forêts, de ceux qu’ils cueillaient dans les buissons, et du gland qui tombait des chênes. Le Printemps était éternel, et la douce humidité de l’haleine des Zephirs entretenait l’éclat des fleurs, après les avoir fait naître, sans avoir été semée" (source)

 L'Âge d'Or, c'est donc la période de bonheur paradisiaque dans laquelle vivaient les hommes avant d'être "civilisés". Notez que la description de la vie des hommes d'alors fait penser à celle du Jardin d'Eden chrétien. 

L'homme a l'état pur est donc naturellement bon selon ce mythe : il ne chasse pas ni n'abîme la terre en la cultivant, il ne cherche pas à se battre ou à conquérir de nouveaux territoires... 

Adam et Eve au paradis terreste, par Peter Wenzel (XVIIIème siècle)

*C'est au XVIème siècle que réapparaît cet problématique de l'homme "pur" et, avec elle, que naît le mythe du bon sauvage à proprement parlé. C'est effectivement la période des grandes découvertes : on explore le monde et on fait la rencontre de peuples complètement différents de ceux, "civilisés", d'Europe. Ainsi, les explorateurs comme Christophe Colomb(aux Caraïbes) , Bougainville (à Tahiti), ou Jean de Léry (au Brésil) décrivent, dans leurs carnets de voyage, ces civilisations d'hommes sauvages vivant dans la nature. 

Le mode de vie de ces hommes se trouve rapidement idéalisé par l'imaginaire collectif, surtout à partir du XVIII ème siècle, la période des Lumières :

"Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature [...] a produits. [...] En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodés au plaisir de notre goût corrompu"  

nous explique Montaigne dans ses Essais

La découverte du nouveau monde par Christophe Colomb, représentée par Théodore Bry en 1592

Contrairement à la vie en société qui semble corrompre l'homme, l'état de nature paraît donc être un état idéal. 
 

Rousseau nous dit ainsi :

 "Il paraît d'abord que les hommes dans cet état [de nature], n'ayant ente eux aucune sorte de relation morale ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n'avaient ni vices ni vertus... cet état était par conséquent le plus propre à la paix et le plus convenable au genre humain."  

Et encore:

  "Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile."

Gravure de L'Histoire d'un voyage fait en Terre du Brésil de Jean de Léry (1580)

Le mythe du bon sauvage critique donc  la vie en société et prône un retour à la nature. Il n'a jamais été oublié puisqu'on en parle toujours aujourd'hui... la preuve avec Mowglie, Tarzan et Peter ! 

Si cet article vous a plu ou pour en savoir plus, vous pouvez (re)lire :

-L'histoire de Romulus et Rémus, enfants loups mythiques de Rome 

-La bande annonce du film du Livre de la Jungle sorti cette année 

- Les articles sur Pocahontas, une "bonne sauvage" durant la période de colonisation : ici et là  

Et aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Zélina !!! Notre "bonne sauvage" ! ;-)