lundi 31 juillet 2023

Lièvres et viking

 Malgré mes recherches, je n'ai pas trouvé de mention de lapin ou de lièvre dans la mythologie nordique (Norvège, Danemark, Suède, Islande...). 
Pourtant, cet animal ne devait pas être inconnu des vikings et des scandinaves ! 
En effet, on a retrouvé des ossements de lièvre, signe qu'ils s'en nourrissaient. Il semblerait aussi qu'ils tissaient des cordages avec leurs poils. Ils utilisaient fort probablement les fourrures pour se vêtir, aussi.

On trouve d'ailleurs la mention de chasse aux lièvres dans les sagas, comme par exemple dans celle d’Egil le Manchot et d’Asmund Tueur-de-Guerriers-Fauves (mise à l'écrit entre le XIIIe et le XVe siècle), on assise à cet épisode :
Un jour qu’ils s’étaient rendus à cheval dans la forêt, Asmund aperçut un lièvre. Il lâcha ses chiens sur lui. Le lièvre prit la fuite, et les chiens ne purent l’attraper. Asmund n’abandonna pas la poursuite tant que le cheval ne fut pas rendu. Il se mit alors à courir et poursuivit le lièvre avec ses chiens. Le lièvre mit fin à la chasse en sautant dans la mer du haut des falaises. Asmund retourna vers son cheval, mais ne le trouva pas. La nuit était tombée. Asmund dormit la nuit, mais au lever du jour un brouillard si épais s’était abattu qu’il ne savait pas où il était (source)

Asmund a alors 12 ans. C'est en suivant le lièvre que commence sa saga : il va arriver dans une contrée et vivre bien des aventures... on voit comment le lièvre a pu, dans cette histoire, se poser comme un sorte de "guide initiatique" qui a mené Asmund vers son destin.

Ainsi, il semblerait que le lièvre n'est pas été sacralisé par les anciens Scandinaves. Il a cependant joué un rôle dans leur culture.

Sur cette enluminure du Flateyjarbók, manuscrit islandais du XIVe siècle, il me semble qu'on voit un lièvre en haut à gauche. 
(source)


Soit dit en passant, au XIe siècle, le Roi d'Angleterre, du Danemark et de la Norvège Knut le Grand a un fils qu'on surnomme Harold Pied-de-Lièvre en raison de sa rapidité.
 
Harold Pied-de-Lièvre sur un manuscrit du XIIIe siècle (même si ce Roi n'avait jamais côtoyé de lièvre, l'image est un moyen de le distinguer facilement pour ceux qui ne savent pas lire.)


dimanche 30 juillet 2023

Lièvre blanc de Cornouailles

Nous avons déjà parlé de lièvres noirs celtes... Eh bien, maintenant, parlons de lièvres blancs ! 
Dans le folklore de la Cornouaille britannique, hérité des mythes celtiques, on raconte que les filles victimes d’un amant volage et traitre se transforment après leur mort en lièvres blancs. Sous cette forme, elles apparaissent sans cesse à leur ex-amant pour lui rappeler sa faute. Parfois, comme leur coeur est encore amoureux de celui qui les a trahi, elles le sauvent d'un péril... mais l'homme finit toujours par mourir de folie ou de culpabilité, tourmenté par cet esprit vengeur.

Pour exemplifier cette croyance, je vais vous résumer deux contes différents dans lesquels on voit apparaître un tel motif.

  
 1/ Le Lièvre Blanc de Looe
(Commencez par regarder la vidéo, même si vous ne comprenez pas les paroles anglaises, je vous raconte le speech juste après 😉 Vous aurez au moins des images dans la tête)
 
 
Sarah, une colporteuse de poisson, aimait passionnément Simon. Le jeune homme l'avait courtisée pendant un an et elle pensait vraiment qu'ils allaient se marier... Mais Simon, qui était volage, changea d'avis et commença à avoir des vues sur Sally, une serveuse dans un pub. Ce fut Sally que Simon épousa, et Sarah en mourut de chagrin. 
Dès lors, chaque nuit, son fantôme descendait de la colline sous la forme d'un lièvre blanc, suivait Simon dans la taverne pour lui faire ressentir honte et culpabilité.
 Une nuit, alors qu'il descendait la colline, le Lièvre Blanc aperçut  une tempête qui se préparait en mer. De nombreux membres de la famille de Sarah se dirigeaient vers leurs bateaux et Sarah devait les avertir. À partir de cette nuit-là, chaque fois qu'elle sentit un orage, Sarah se mit à bondir entre les cordes qui attachaient les bateaux le long du port. Il est devenu courant pour les habitants de Looe de voir un gros lièvre blanc courir entre les bateaux: maintenant, ils comprenaient que l'animal essayait de les avertir d'une tempête et de sauver la vie des hommes de sa ville. Même si elle se sentait utile pour ses anciens compatriotes, Sarah gardait toujours de la rancoeur contre Simon. A force de le tourmenter, elle altéra sa santé et le jeune homme mourut dans l'année pour avoir ainsi trahie sa fiancée...

Voir un lièvre blanc à Looe est un mauvais présage pour les hommes qui ont trahi leur amoureuse,
et un avertissement pour les pêcheur qu'une tempête les attend en mer.

Parfois encore, quand on repère le Lièvre Blanc sur la colline de West Looe,
c'est le signe d'un autre garçon volage,
le signe d'une autre Fille au Coeur Brisé,
le signe qu'une féroce Tempête se prépare


(Pour lire la version originale de ce conte, cliquez ici)
 
 2/Le lièvre blanc et le fermier
 
Un grand propriétaire terrien engagea un beau garçon pour diriger sa ferme, ainsi qu'une fille de paysan pour s'occuper de la gestion de la laiterie. Les deux employés s'éprirent l'un de l'autre... mais comme la laitière était sans éducation, les parents du garçon de ferme réprimèrent cette passion et le forcèrent à épouser une femme plus appropriée.
 Quelques mois plus tard, on trouva dans les champs un bébé étranglé : on pensa qu'il s'agissait de l'enfant illégitime de la laitière et du jeune fermier, tué par sa mère qui ne voulait pas ternir sa réputation. Elle fut jugée puis exécutée pour meurtre.  
Or, à partir de ce moment-là, tout alla mal dans la ferme. Le jeune fermier décida subitement de tout quitter et partie tenter sa chance dans une autre région... mais là encore, rien de ce qu'il plantait ne prospérait. Il commença à fréquenter les tavernes pour noyer quelqu'obscur chagrin secret. Les gens remarquèrent que partout où il allait, un lièvre blanc le suivait : le futé animal aimait particulièrement se fourrer dans les pattes du cheval du fermier, lequel prenait peur et s’emballait. Un jour, on retrouva le cadavre du jeune homme à côté de son cheval qui boitait : le lièvre, fantôme de la laitière trahie, était parvenu à se venger en désarçonnant son ex-fiancé...
 
(Pour lire la version originale de ce conte, vous pouvez cliquer ici)


(source)





samedi 29 juillet 2023

La mort des fils de Conchobar

 Dans la mythologie celtique irlandaise, Conchobar mac Nessa (dont le nom signifie "avide comme un loup") était un roi légendaire qui régnait sur un ancien royaume d'Irlande, Emain Macha. 
Il avait trois fils : Cairpre Cenn Chaitt, Cormac Conlongas et Cuscraid.
Or, un jour qu'un chasseur était parti prendre du gibier à Emain Macha, il attrapa trois lièvres et les tua. Il voulu les cuisiner à côté d'un rocher, mais alors une voix s'éleva de la pierre. Cette voix chantait les louanges des lièvres et expliquait qu'il s'agissait de princes, des trois fils de Conchobar, métamorphosés en lièvres après avoir quitté leur sidh. Cette voix, donc, reprochait au chasseur son acte. 
Pris de terreur, celui-ci s'enfuit l'estomac vide, en abandonnant les dépouilles des trois lièvres.
Ainsi moururent les trois princes, fils d'un héros...
(Légende rapportée par Osborn Bergin)
 
Peinture de Justin Prigmore


Cette légende reprend le motif du personnage surnaturel qui se transforme en lièvre dès qu'il quitte le monde des fées.

vendredi 28 juillet 2023

Lièvres noirs enchantés celtes

 On trouve encore mention de lièvre noirs enchantés dans les contes et légendes celtes. La couleur noire souligne son caractère fabuleux : le lièvre d'Europe, qu'on trouve à l'état sauvage dans les contrées celtes (Irlande, Grande-Bretagne, Bretagne et Gaule) est brun, roux-fauve, mais jamais noir.
 
(source)

Par exemple, il existe une personnage nommé Caílte ou Caoilte aux longs-pieds, qui a un rapport avec les lièvres. En effet, il tire son nom de ses grands pieds qui le font ressembler à un lièvre, de son côté svelte (caol = "mince") et de sa rapidité.  
 
Par exemple, dans une légende qui parle de la vie de Caoilte, il est raconté que son père, Diarmuid, était parti chasser un jour de neige quand il attrapa un lièvre noir. Alors qu'il allait le tuer, celui-ci se met à lui parler. De saisissement, Diarmuid s'évanouit. Quand il se réveille, le lièvre est toujours auprès de lui.
 « N’aie pas peur de moi ; ce n’est pas pour te faire du mal, mais c’est pour te faire du bien que je suis venu vers toi cette fois-ci. Aie courage et écoute-moi. Tu es égaré maintenant ; tu as marché sur la motte d’égarement et tu serais mort dans la neige si je ne t’avais pas pris en pitié. Je sais bien que tu en as tué beaucoup de ma race, et ils ne t’avaient causé aucun dommage. Mais après le mal que tu as fait, je te ferai du bien. Raconte-moi maintenant quel est le plus grand désir que tu aies dans ton cœur, sauf le ciel et je te le donnerai. »
Diarmuid, qui vit avec une femme âgée et est lui-même très vieux, demande d'avoir un enfant. Le lièvre exauce son souhait et, en échange, Diarmuid promet de ne plus jamais chasser ceux de son espèce. 
 


Quand l’enfant naquit, il n’était pas comme un autre petit enfant ; il avait quatre pieds [=1,20m] de haut ; il était aussi mince qu’un bâton et ses pieds avaient plus d’un pied [=30cm] de long.
 
Caoilte grandit et devient un coureur très rapide. 
Par la suite, il lui arrive plusieurs fois de recroiser le lièvre fabuleux qui a causé sa naissance. 
Une fois, le garçon lui sauve la vie alors que le lièvre se bat contre une sorcière changée en belette. Une autre fois, Caoilte fait semblant d'aider des chasseurs qui lui ont promis une récompense : tous les jours, il lève pour eux le lièvre noir mais celui-ci détale si vite que les chasseur ne parvienne jamais à le rattraper... Lassés et énervés, les chasseurs pensent que Caoilte est un démon : pour se venger, ils décident de venir brûler sa maison. Fort heureusement, le lièvre prévient Caoilte à temps :
 « Caoilte, une troupe d’hommes va venir cette nuit pour brûler la maison, avec toi, ton père et ta mère, mais je mettrai un brouillard sur leurs yeux ; ils s’égareront et ils ne trouveront pas leur chemin vers ta maison ni vers les leurs jusqu’au matin, et s’ils font une seconde tentative contre toi, ils seront noyés dans le lac. »

Enfin, c'est le lièvre qui vient apprendre à Diarmuid que sa femme et lui vont mourir : à leur mort, il emmène Caoilte avec lui, comme il l'avait promis à son père. 
  « Ne t’inquiète pas de Caoilte, il est de ma tribu; je l’emmènerai chez moi et sur ma parole il y sera plus heureux que s’il était au milieu de ses voisins.»
 
De même, dans une autre légende qui parle de Caoilte (lui ou son homonyme), il est dit "Quoiqu’il fût né d’une femme, c’était le sang sauvage des lièvres enchantés qu’il avait en lui. "
Le sang des lièvres, c'est le sang  des fées et des héros, de ceux qui habitent les sidh : Caoilte est donc un personnage hors du commun et non un simple mortel. 
Dans un autre épisode, le lièvre sauve Caoilte qui s'apprêtait à boire une coupe de poison.
On a pu voir, aussi, que dans cette histoire le lièvre est un adjuvant pour le héros : il l'aide au cours de ses périples.

(Pour lire ces conte en entier, vous pouvez cliquer ici ou ici.)

***
Une autre histoire celte met en scène un lièvre noir fantastique : dans une chasse qui oppose un certain Tomâs Fuilteach (= Thomas le Sanglant) et le seigneur de Clare (un comté irlandais). Tômas est un personnage fourbe et rusé. Il met au défi le seigneur de Clare, qui se vante d'avoir une très bonne chienne de chasse, d'attraper une hase noire. Comme le seigneur n'y parvient pas, Tômas déclare avoir gagné son pari, mais son adversaire proteste : ce doit être un lièvre enchanté, donc ça ne compte pas ! Aucun chien au monde ne pourrait l'attraper ! 
Les deux hommes se battent:
Le seigneur de Clare lança à Tomâs Fuilteach un coup qui lui immobilisa la main droite, et par suite, il allait avoir le dessus, lorsque la hase arriva ; elle lança au seigneur de Clare un jet d’eau entre les deux yeux, et peu s’en fallut qu’elle ne l’aveuglât. Lorsqu’il fut à moitié aveugle, Tomâs Fuilteach lui donna un coup de pointe dans le ventre et ses entrailles se répandirent sur l’herbe.
Le seigneur de Clare est tué et Tômas Fuilteach, qui une fois de plus a fait honneur à son nom, enterre son cadavre dans le "trou puant" de la hase.
La hase noire, c’était la grand-mère de Tomâs Fuilteach, et elle pouvait se changer en belette, anguille ou toute autre chose, n’importe quand.

Contrairement au conte précédent, on voir donc qu'ici, s'il est toujours en lien avec la magie, le lièvre est plutôt du côté du mal que de celui du bien.
Illustration de Chiara Magnani
(source)


(Vous retrouverez cette histoire ici)

jeudi 27 juillet 2023

Gwyon Bach métamorphosé en lièvre

 Dans la mythologie celte, on trouve une autre mention d'un lièvre (et non des moindres) dans la légende de Taliesin. Si vous l'ignorez, Taliesin était un barde mythique du VIe s., le plus célèbre de la mythologie celtique. Parfois associé ou confondus avec Merlin/Myrddin, il est censé avoir écrit un grand nombre de poèmes, dont certains ont été regroupés dans le Livre de Taliesin
En outre, la vie de ce barde a elle-même été entourée de nombreuses histoires et de légendes merveilleuses. Ainsi, au XVIe s., le gallois Elys Gruffydd écrit le Conte de Taliesin qui explique sa naissance et ses pouvoirs.
 
(source)

L'épisode qui nous intéresse se trouve au tout début de l'histoire de Taliesin, alors même qu'il n'est pas encore né véritablement. 
Kerrydwen, reine et fée de la mythologie galloise, avait eu un fils si laid et si idiot qu'elle décida un jour de préparer une potion pour lui donner la beauté et la sagesse. Après avoir réuni les nombreux ingrédients et avoir préparé sa potion dans un chaudron enchanté, elle doit la laisser mijoter pendant un an. Un vieil aveugle est chargé de surveille le feu, guidé en cela par un jeune homme, Gwyon Bach. Or, quand la potion est prête à être administrée au fils de Kerrydwen, trois gouttes tombent sur Gwyon Bach. Le chaudron explose sous la force de la mixture qu'il contient et le fils de Kerrydwen ne peut recevoir sa part. 
La magicienne, folle de rage, se lance à la poursuite de Gwyon Bach qu'elle tient responsable de cet échec. Or, celui-ci, grâce à ses nouveaux pouvoirs, peut se transformer en lièvre pour lui échapper. C'est sans compter sur les propres pouvoirs de Kerrydwen qui prend la forme d'un lévrier afin de le rattraper. 
 
(source)

 
Ce n'est que la première des métamorphose : Gwyon se change en saumon, puis en passereau, et enfin en grain de blé, tandis que Kerrydwen devient tour à tour loutre, épervier et poule. Elle avale alors le grain de blé... et, neuf mois plus tard, elle donne naissance à un bébé qui deviendra le sage Taliesin : une renaissance de Gwyon Bach métamorphosé depuis qu'il a goûté à la potion de connaissance...
 
(source)

Le fait que Gwyon Bach/Taliesin prenne la forme d'un lièvre lors de sa 1ère métamorphose n'est pas anodin : cela prouve que cette transformation comptait parmi les plus "innées", les plus naturelles dans l'imaginaire celtique.
De par ailleurs, vous remarquerez que Gwyon Bach/Taliesin s'est transformé en lièvre, en poisson et en oiseau... les trois animaux symboliques de la cosmogonie thrace !  Il a ainsi été initié aux trois éléments que sont la Terre, l'Eau et l'Air.
 
Cette légende est évoquée dans la chanson Korydwen de Tri Yann. Attention ! La chanson ne raconte pas la légende ! On y trouve simplement  des allusions, notamment à la fin, "Et de son ventre froid, soudain s'envole un épervier /Qui plonge dans la Loire, en saumon enchanté"
 
 


mercredi 26 juillet 2023

Mythologie celte : Oisín et le lièvre

 Oisín est un héros de la mythologie celtique irlandaise. 
 
Oisin et sa femme Niahm

 
Dans une de ses aventures, on raconte que, parti à la chasse, il frappa à la patte un lièvre. Comme celui-ci continua à détaler, Oisín le poursuivit jusqu'à un vieux dùn (une éminence ou une forteresse). Là, il passa une porte qui le conduisit dans une salle riche où une femme soignait sa jambe blessée. En réalité,  Oisín venait de rentrer dans le Sidh, le monde des fées, des esprits et du petit peuple. Ce jour-là, il comprit que les fées se changeaient en lièvre quand elles arpentaient le monde des vivants : il jura dès lors de ne plus jamais tuer ni manger de lièvre de toute sa vie...
 
***
Je n'ai pas pu trouver la source écrite de cette histoire, il s'agit peut-être d'une légende qui a été transmise oralement. Dans tous les cas, elle nous apporte peut-être une explication quant au tabou alimentaire qui semblait frapper le lapin et le lièvre chez les Celtes. Elle nous apporte aussi la preuve que ces animaux avaient un lien avec le monde du sacré...

mardi 25 juillet 2023

Lièvre, récoltes et germination

 Dans les pays de tradition celte, le lièvre est aussi lié aux récoltes. Quand on coupe les derniers épis de blés surnommés fort à propos "Lièvre" (on disait alors qu'on "tuait le lièvre"), et censés conserver en eux l'esprit du blé, divers rituels étaient liés à cet animal. Si on voit un lièvre surgir d'entre les épis à ce moment-là, c'est de bon augure. Diverses coutumes existent autour ce cette gerbe-lièvre, et ont survécu malgré la christianisation des régions celtiques (on voit ainsi commun un rite peut devenir une coutume folklorique). 

Par exemple, en Ecosse, on tressait les derniers épis et on le nouait pour former des oreilles. Chaque moissonneur se reculaient alors de quelques pas et lançaient leur faucille pour tenter de le couper au-dessous du nœud. Celui qui y parvenait pouvait ramener le Lièvre chez lui : la gerbe était accrochée au-dessus de sa porte de cuisine et portait chance jusqu'à la récolte de l'année suivante.
 
Dans le village de Minnigaff (toujours en Ecosse), quand on avait coupé le Lièvre, tous les célibataires devaient s'empresser de courir pour rentrer chez eux : le premier arrivé était assuré de se marier dans l'année (on voit encore là que le lièvre est lié à la fertilité)
 
Enluminure d'un manuscrit grec du XVIe s.

Dans d'autres pays, comme en Prusse, on disait que le lièvre était assis sur la dernière gerbe de blé : honte à celui qui prendrait du retard et couperait le Lièvre, il serait bien moqué par ses voisins ! 
De même, en Norvège, celui qui tuait le lièvre (donc le dernier à avoir fini de moissonner), devait payer un coup de "sang de lièvre", un verre à boire, aux autres moissonneurs.
(Ces traditions sont relatées dans le livre de mythologie comparée Le Rameau d'Or, de James George Frazer, publié en 1922)

lundi 24 juillet 2023

Eostre/Ostara

 Dans l'article sur Boudicca, nous avons évoqué la déesse Andarta (ou Andraste/Ansdrasta...). Cette déesse celte, assimilée à Diane par les Romains (déesse de la chasse) est surtout liée au culte de l'ours. Néanmoins, étant donné qu'il s'agit d'une divinité de la nature et de la chasse, elle a aussi pu être mise en rapport avec le culte du lièvre. 
 
Statuette découverte sur le site romain de Woodcok Hall (Norfolk, Angleterre) (source)


Or, une autre déesse est liée aux léporidés : il s'agit d'Eostre (ou Ostara dans sa version germanique). 
(source)
Paradoxalement, son existence est attestée par un moine catholique au VIIIe siècle, qui dans son ouvrage tente d'expliquer la dénomination de Pâques (Easter en anglais) et sa date. 
En effet, Eostre était célébrée lors de l'équinoxe de Printemps, fin Mars, donc. Son nom est aussi liée à un point cardinal, l'Est (East en anglais) puisque le jour du Printemps, le Soleil se lève exactement à l'Est.
Il s'agit d'une divinité du Printemps, donc, mais aussi de la fertilité, de l'abondance et de la renaissance (puisqu'en cette saison, la nature paraît revivre). Rien d'étonnant, donc, à ce que le lièvre soit son animal préféré. De par ailleurs, c'est en cette saison que les léporidés entre dans leur saison des amours : on les voit alors s'ébattre en plein air, après avoir passé tout l'Hiver à l'abri dans leur gîte.
Pierre tombale du Lincolnshire montrant un homme avec un lapin (source)


D'après une légende teutonique (peuple de culture celte et germanique) qui daterait du XIIe siècle, un jour une enfant trouva un oiseau mourant. Elle pria la déesse Eostre de lui venir en aide pour le soigner. Eostre descendit de l'empyrée sur un arc-en-ciel et métamorphosa l'oiseau en lièvre. Elle expliqua ensuite à la fillette que ce lièvre reviendrait chaque année désormais, au Printemps, et porterait des oeufs aux couleurs de l'arc-en-ciel.
Cette légende tire peut-être son origine de la ressemblance entre le nid des lièvres et celui d'un oiseau, le vanneau. On aurait vite fait de confondre l'un et l'autre et de croire qu'un lièvre aurait pondu des oeufs.
 
Lièvre et vanneaux par Roger Reboussin (source)

Une autre version raconte qu'un jour Eostre transforma un oiseau en lièvre pour amuser des enfants. Mais le lièvre se mit à trembler de peur face aux humains, surtout lorsqu'il comprit qu'il ne pourrait plus jamais s'envoler. Pris de pitié, les enfants supplièrent Eostre de retransformer le lièvre en oiseau, ce qu'elle ne put faire que lorsque ses pouvoirs furent à leur apogée, lors de l'équinoxe de Printemps. Pour remercier les enfants d'avoir intercédé en leur faveur, le lièvre-oiseau revint chaque année leur offrir des oeufs (symbole de germination, donc de re-naissance, de renouveau et aussi de cycle infini : qui de l'oeuf ou de l'oiseau apparaît en premier ?). Quant à Eostre, elle grava l'image d'un lapin dans la Lune pour se rappeler sa mauvaise action.
 
Aquarelle d'Helena Nelson

 

dimanche 23 juillet 2023

Boudicca et le lièvre

 Boudicca, célèbre reine celte de Grande-Bretagne qui a incité les hommes de son pays à se rebeller contre l'envahisseur romain, a elle aussi connu une petite histoire avec un lièvre. 
Tout d'abord, avant de partir à la bataille, elle harangue ses troupes ainsi, de manière métaphorique :
 Marchons donc contre eux [les Romains], pleins de confiance en la bonne fortune, et montrons-leur qu'ils ne sont que des lièvres et des renards qui prétendent commander à des chiens et à des loups. »
Elle compare l'envahisseur à des lièvres, gibiers couards et détaleurs. Eux se placent du côté des prédateurs.
 
Roman legion hare (1955)

 
Puis, comme si ces premières paroles ne servaient que d'introduction à son geste, elle pratique une "sorte de divination". Elle tire un lièvre de sa tunique. La direction qu'il emprunte, ou peut-être la manière dont il bondit, est interprété comme un bon présage. Toute la troupe de Boudicca crie de joie à cette vision.
 
(source)

Avant de se lancer dans la bataille, Boudicca entonne encore une prière de gratitude :
 « Je te rends grâces, dit-elle, Andarta ; femme, j'invoque une femme, moi qui commande [...] à des hommes, à des Bretons, qui ne savent pas, il est vrai , cultiver la terre ou exercer un métier, mais qui ont parfaitement appris à faire la guerre, et qui tiennent pour communs tous leurs biens, pour communs leurs enfants et leurs femmes, lesquelles ainsi ont autant de cœur que les hommes. Reine de tels hommes et de telles femmes, je t'adresse mes vœux et je te demande la victoire, le salut et la liberté contre des hommes violents, injustes, insatiables, sacrilèges, si on doit appeler hommes des gens qui se baignent dans l'eau chaude, mangent des mets apprêtés avec recherche, qui boivent du vin pur, qui se frottent de parfums, qui ont une couche moelleuse, qui dorment avec des jeunes gens, et des jeunes gens hors d'âge, et qui sont les esclaves d'un joueur, et encore d'un méchant joueur de lyre. [...] Toi, ô notre maîtresse, puisses-tu toujours marcher seule à notre tête ! » (Dion Cassius, Histoire romaine)

On voit donc que Boudicca après avoir traité ses ennemis de lièvres, les traite d’efféminés, trop "sucrés" et maniérés pour se battre contre des guerriers celtes.
Femme brandissant un lièvre (qui aurait très bien pu être Boudicca !),
gravure de Stefano della Bella (XVIIe s)
(source)


Après, quoi, les troupes de Boudicca combattent les Romains et pillent leurs villes. 
Don Cassius, l'auteur romain qui a relaté cette anecdote au IIe s., écrit encore que "ces horreurs se commettaient au milieu de leurs sacrifices, de leurs festins et de leurs orgies, dans leurs temples et principalement dans le bois consacré à Andarta : c'était le nom qu'ils donnaient à la Victoire , et ils lui rendaient un culte tout particulier. "
 
Vous aurez peut-être reconnu le nom de la déesse Andarta,  dont nous avions parlé pendant l'Eté ours. 😉 Il se peut aussi que Dion Cassius l'ait confondu avec Eostre/ Ostara/ Asteron, déesse dont nous aurons l'occasion de reparler très bientôt. 
 
Illustration par Anita Inverarity

 

samedi 22 juillet 2023

Le lièvre chez les Celtes

 Les coutumes des Gaulois et des Celtes nous sont bien peu connues par rapport à celles des Grecs ou des Romains, car ils se transmettaient leurs traditions oralement. Cependant, certains auteurs Romains ont pu observer leurs meurs et en donner des témoignages. 
 
Ces écrits semblent démontrer que le lièvre était un animal lié au culte : on s'en servait comme d'un sacrifice,  comme d'un présage ou même, parfois, il semblait sacralisé
 
Par exemple, d'après Arrien (auteur grec du Ier s.): "C'est une loi pour quelques-uns des Celtes de faire à Artémis [Diane] des sacrifices annuels. D'autres offrent à la déesse un trésor  : pour un lièvre qu'ils ont pris, ils mettent à la masse deux oboles ; pour un renard, une drachme : le renard est un être rusé, toujours en embuscade ; c'est le fléau des lièvres ; voilà pourquoi on donne davantage ; c'est comme si l'on avait pris un ennemi [...] L'année révolue, quand revient le jour de la naissance d'Artémis, on ouvre le trésor et avec la somme recueillie on achète une victime, qui une brebis, qui une chèvre, qui un veau, s'il y a assez d'argent. Le sacrifice achevé, les prémices ayant été offertes à la [divine] chasseresse, selon la loi de chacun, ils se régalent, eux et leurs chiens. Les chiens sont même ce jour-là couronnés de fleurs, pour bien marquer que la fête se donne en leur honneur." (Cynégétique, ch.34)
 
Ainsi, on peut voir que, chaque fois qu'ils attrapaient un lièvre, les Gaulois payaient une offrande à la déesse de la chasse (Artémis en Grèce, Diane à Rome... mais elle portait sûrement un autre nom pour les Gaulois : Arrien a réinterprété la scène selon sa propre religion). Une manière de la remercier pour cette belle prise !  
 
Statue votive dédiée à Artemis d'une petite fille portant un lièvre
(source)


***
Bien entendu, l'un des plus grands observateurs des Gaulois reste Jules César ! Voilà ce qu'il écrit à propos des lièvres :  "Les Bretons regardent comme défendu de manger du lièvre, de la poule ou de l'oie ; ils en élèvent cependant par goût et par plaisir"  (Guerre des Gaules, livre 5)
 
Ainsi, contrairement aux Romains qui adoraient manger du lièvre et du lapin, il semblerait que les Gaulois en avaient déjà fait un animal de compagnie (ce dont témoigne l'expression "par plaisir") !  
 
Notez d'ailleurs que le lièvre était bien vu des Celtes grâce à ses grandes oreilles qui attestaient d'une ouïe fine : quel animal pouvait mieux représenter un savoir qui se transmettait de bouche à oreille, où l'on devait écouter pour retenir, faute de support écrit ?
Image du livre "Idéfix et le petit lapin"
***
 
D'autres traditions celtes ont été perpétrées à travers les superstitions et les us et coutumes des habitants. Nous aurons l'occasio  d'en reparler dans les prochains articles, mais voici déjà quelques exemples :
Dans le Northamptonshire (comté d'Angleterre) si un lièvre court le long d'une route, cela annonce un incendie dans une maison à proximité. Croiser un lièvre est censé porté malheur dans les pays anglo-saxons, surtout un matin de Mai ou si on monte à cheval.

A Biddenham (village anglais), on assistait jadis à une procession le 22 septembre : on portait un lapin blanc orné de rubans rouges à travers les rues, suivi par les femme s célibataires qui levaient deux doigts vers lui en psalmodiant :
" Gustin, Gustin, lacks a bier,
Maidens, maidens, bury him here.
"
 Ce qu'on pourrait traduire par :
"Vénérable, vénérable, il manque une bière  [cercueil]
Filles, Filles, brûlons-le ici."
Cette processions témoigne indubitablement d'un culte du lièvre, lié sans doute à la fécondité des jeunes femmes, et qui étaient pratiqué avant l'arrivée du christianisme. (Cette anecdote est racontée ici
 
Dans le Tarot d'Eli, tarot récent mais d'inspiration celte, le lièvre symbolise la renaissance



vendredi 21 juillet 2023

Bugs Bunny dans l'arêne

Petit article relax aujourd'hui, avec ce dessin animé d'un lapin chez les Romains 😃

jeudi 20 juillet 2023

La constellation du Lièvre

 Vous n'êtes pas sans ignorer que le firmament tel que nous le connaissons aujourd'hui nous vient d'un double héritage : l'héritage arabe et l'héritage gréco-romain. Cette co- existence est en réalité due au fait que la culture gréco-romaine a été perdue au Moyen Âge en Europe avec l'avènement du christianisme et n'a été conservée que dans le monde arabe. Beaucoup de textes grecs ont été traduits en arabe avant d'être retranscrits en français. Toujours est-il que nombre d'étoiles portent des noms arabes, alors que les constellations sont inspirées de la mythologie gréco-romaine.
 
Enluminure de la partition du Motet Laudate Dominum de Roland de Lassus (par Hans Mielich, XVIe s.)
(source)

Bref, il existe une constellation du Lièvre (Lepus), identifiée, donc par les Grecs dès le IVe s. av. J.C (par l'astronome Eudoxe de Cnide).
 
Sur l'enluminure précédente, le lièvre se trouve tout en bas à gauche
 
Auparavant, les Égyptiens avaient nommé cette constellation "la barque d'Osiris"(en raison de l'Eridan, pour eux la  constellation du Nil qui "coule" non loin)
Dans  d'autres culture, on a pu la nommer différemment. Par exemple, les Arabes en faisaient le siège d'Orion, appelé Arsh al-Gjauza; "trône du géant", ou bien ils l'appelaient Al-Nihal, "Les chameaux s'abreuvant" (ils buvaient dans la Voie Lactée). D'ailleurs, l'une des étoiles les plus brillantes de cette constellation s'appelle toujours Nihal.

 
Plusieurs légendes entourent ces étoiles.
 
Manuscrit du XIVe s.
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*Il faut d'abord savoir que le Lièvre est située juste en dessous de la constellation d'Orion (le Chasseur) qui est accompagné par son chien : il se pourrait donc que ces étoiles représentent une chasse perpétuelle. 
D'aucun prétendent d'ailleurs que le Lièvre n'est pas un gibier assez noble pour Orion, qui préfère s'attaquer au Taureau.
 
Dans l'Uranographia de Johannes Hevelius (XVIIe s.), on voit le Lièvre et le Chien aux pieds d'Orion
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*Une autre tradition veut que ce soit le dieu messager Hermès/Mercure qui ait sauvé le lièvre d'une chasse et l'ait placé ici en raison de sa légèreté et de sa fertilité. 
A ce propos, voici ce qu'écrit Erathostène, un astronome grec du IIe s. av. J.C :  Il fut découvert et lancé par le chien dans une chasse, et à cause de sa légèreté, Mercure le mit, dit-on, au ciel. [...] Le lièvre a une étoile à chaque oreille, trois au corps, dont celle de l’échine est brillante, et une à chaque pied de derrière; en tout, 7. (Catastérisme)
 
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*Enfin, selon une troisième légende, le Lièvre représente un avertissement. En effet, autrefois, sur l'île de Léros (île grecque située dans la mer Egée), on ne trouvait pas de lièvres donc on ne pouvait pas s'en nourrir. Or, un jour, quelqu'un apporta une hase prête à mettre bas. Grâce à la femelle et à ses petits, l'espèce se propagea et tous les habitants purent en élever, à leur grand bonheur. Or, les lièvres se multipliaient si vite que bientôt les éleveurs se trouvèrent débordés : on n'arrivait plus à les nourrir, les lièvres dévorèrent toutes les récoltes... Ce ne fut qu'à grand peine que les habitants de Léros réussirent à se débarrasser de ce fléau. Depuis, un Lièvre fut placé dans le ciel pour rappeler aux Hommes que ce que l'on désire plus que tout peut devenir source de bien des maux...   
 
Sur cette page de manuscrit astronomique du XIe s., on voit le lièvre en bas à gauche
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Soit dit en passant, comme le lièvre est effrayé par l'Aigle, il se couche quand la constellation de celui-ci se lève. 
 
Représentation des constellations d'Orion, du Lièvre, du Petit et du Grand Chien dans un manuscrit du XVe s.
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