Un Chat, nommé Rodilardus
Faisait des Rats telle déconfiture
Que l’on n’en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu’il en restait, n’osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son sou,
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un Chat, mais pour un Diable.
Or un jour qu’au haut et au loin
Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa Dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Dès l’abord, leur Doyen, personne fort prudente,
Opina qu’il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis, ils s’enfuiraient en terre ;
Qu’il n’y savait que ce moyen.
Chacun fut de l’avis de Monsieur le Doyen,
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot.
L’un dit : « Je n’y vas point, je ne suis pas si sot »;
L’autre : « Je ne saurais. »Si bien que sans rien faire
On se quitta. J’ai maints Chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus ;
Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines,
Voire chapitres de Chanoines.
Ne faut-il que délibérer,
La Cour en Conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne.
La Fontaine, qui a écrit au 17e siècle, s'inspire pour cette fable d'une longue tradition. J'ai essayé de vous retrouver le texte de ses prédecesseurs. L'histoire reste la même, mais si le cœur vous en dit, vous pouvez les lire pour apprécier les variations opérées par différents auteurs sur un même thème.
L'article est un peu long, mais vous n'êtes pas obligés de tout lire.
Qui se lance pour la prochaine réécriture ?
John Edwin Noble |
Esope (6ème siècle avant J.C)
Les souris se réunirent toutes un jour en conseil et examinèrent les meilleurs moyens de se mettre
à l'abri des attaques du chat. On avait déjà discuté plusieurs propositions quand l'une des souris, personne d'importance et d'expérience, se leva et dit : "Je crois avoir trouvé un plan qui, si vous l'approuvez et le menez à bien, assurerait notre sécurité pour l'avenir. Voici : il nous faut attacher au cou de notre ennemi le chat un grelot dont le tintement nous avertira de son approche." Cette proposition fut chaudement applaudie ; et l'on avait déjà décidé de l'adopter, quand une vieille souris, se dressant sur ses pattes, dit : "Je conviens avec vous toutes que ce plan est quelque chose d'admirable; mais, puis-je vous demander qui va aller attacher le grelot ?
Kalila et Dimna (collection de contes et apologues orientaux, originaires du 3ème siècle avant J.C)
Marie de France (12e siècle)
Je n'ai trouvé le texte qu'en Ancien Français, je vous ai dont mis en regard une traduction moderne (approximative, car je ne suis pas une experte).
Les souris firent parlement Ou il ot grant grumellemeni : La ou dut venir souri- mainte. Du chat fu faite la complainte : Le chat ne nous cesse rungier, Dieu le puist en enfer plungier ; Il manjue nos enfançons ; De li nuire nous avançons. — Un conseil vous donré, dit l'une , A mon dit s'acordoit chascune ; L'en liera une campenelle A son col, qui si nous revelle, Ainsi pourrons nous contraitier Quant il nous voudra agaitier, Quar nous orrons tantost le son. A chascun pleist ceste leççon. Or s'en retournent faisant feste, Chascune d'aler estoit preste. A tant es vous une vies souris Qui estoit tous alangouris; Elle estoit et vielle et boiteuse, De demander fu curieuse Ce qui estoit fait au concile, Ou avoient esté deus mile. L'en li dit de fil en aguille Vesci Calabre, veés ci Puille, Oncques délibération N'ot mes si grant discrétion. La vielle dit: Qui la livra? Et qui au chat tout droit ira ? Qui menra ceci a effet? Tout ne vaut rien se il n'est fet. » La moralité : Riens ne vaudroit faire les drois, Se n'estoit puissans et adrois Qui les feit garder et tenir. | Les souris firent parlement Où il y eut de grands grommellements Là où dut venir maintes souris. Du chat fut faite la plainte : « Le chat ne cesse de nous ronger, Que Dieu en Enfer le plonge ! Il mange nos petits enfants, Nous avançons qu'il faut lui nuire. — Un conseil, je vous donnerai, dit l'une, Qu'à mes paroles s'accorde chacune : On liera une clochette À son cou, ainsi si elle nous réveille, Nous pourrons résister, Quand il voudra nous guetter Car nous aurons aussitôt le son. » À chacun plaît cette leçon. Maintenant, de retourner faire la fête, Chacune était prête. Jusqu'à ce que vienne une vieille souris, Qui était toute languissante : Elle était vieille et boiteuse, De demander, elle fut curieuse, Ce qui avait été fait au conseil Où on avait été deux milles. On lui dit, de fil en aiguille, Voici Calabre, voilà Pouille {traduction difficile : expression faisant référence à deux régions italiennes, mais qui pourrait aussi signifier Voici couleuvre (sorte de catapulte), voici registre} Qu'à une telle délibération On ne mit jamais si grande discrétion. La vieille dit : « Qui la livrera ? Et qui au chat tout droit ira? Qui mènera ce projet à bien ? Tout ne vaut rien s'il n'est fait. » Il ne sert à rien de faire des lois, S'il n'y a personne de puissant et d'adroit Qui les fait respecter et appliquer. |
source |
Eustache Deschamps (14ème siècle)
Sous forme de ballade (poème chanté)
J’apprends qu’entre les souris
Il y eut une discussion incroyable
Au sujet des chats, leurs ennemis,
Pour savoir comment
Elles pourraient vivre en sécurité
Et n’être plus apeurées.
L’une d’elles dit alors, pour résoudre ce problème :
Qui pendra la sonnette au chat ?
Cet avis fut accepté et partagé ;
Elles se séparent ainsi, toutes d’accord.
Une souris du plat pays
Les rencontre et demande
Ce qui a été décidé. Elles répondent alors
Que leurs ennemis seront défaits :
Ils auront une sonnette pendant au cou.
Qui pendra la sonnette au chat ?
« Ce ne sera pas mince affaire », dit un rat gris.
Elle demande avec sagesse
Qui accomplira cet exploit.
Alors chacune s’en va avec une bonne excuse.
Il n’y a aucun volontaire,
Leur besogne tombe donc à plat.
On parla bien, mais, au demeurant :
Qui pendra la sonnette au chat ?
ENVOI
Prince, on vous conseille bien souvent,
Mais on peut dire, à la suite du rat,
À propos du conseil qui n’aboutit à rien :
Qui pendra la sonnette au chat ?
Abstémius (15e siècle)
Bensérade (17e siècle)
Le chat étant des rats l'adversaire implacable,
Pour s'en donner de garde un d'entre eux proposa
De lui mettre un grelot au cou ; nul ne l'osa.
De quoi sert un conseil qui n'est point praticable ?
source |
Hé Bé ! Les sonnettes ou grelots ont donc alimentés bien des conseils ou des écrits ! Ce qui prouve que le chat n'a jamais laissé insensible les populations et ... les souris !
RépondreSupprimerUne suggestion ? Si nos élus votaient en conseil le port d'un grelot à tous les prédateurs à 2 pattes, ce serait bien !
Oui !!! Surtout en saison de chasse
Supprimerincroyable que cette histoire a été écrite par autant d'auteur et à différentes périodes. cette morale est d’actualité de nos jours : "Il ne sert à rien de faire des lois, s'il n'y a personne de puissant et d'adroit
RépondreSupprimerqui les fait respecter et appliquer".