A la fin du Moyen Âge, on trouve des traces d'une histoire nommée Valentin et Orson.
Cette histoire, qui existait probablement sous forme de conte oral avant d'être mis à l'écrit, a fait l'objet d'une chanson de geste au XIIIe ou XIVe siècle (dont le texte est aujourd'hui perdu), avant d'être mis en prose sous forme de roman au XVe siècle.
Le début n'est pas sans rappeler certains contes dont nous avons déjà parlé, notamment celui de Jean de l'Ours, comme vous allez le voir...
L'histoire se déroule vers le VIIIe siècle, à l'époque du Roi Pépin le Bref (père de Charlemagne) : elle appartient donc à ce qu'on appelle le "cycle carolingien" (on y rattache toutes les oeuvres composées pendant le Moyen Âge et qui se passent en gros à l'époque de Charlemagne).
La soeur de Pépin, nommée Bellisant, épousa l'Empereur Alexandre. Or, à la cour de Constantinople où les deux époux vivaient, un archevêque tomba amoureux de Bellisant. Comme elle refusait de céder à ses avances, il se vengea en répandant de faux ragots sur elle : il prétendit à l'Empereur que sa femme l'avait trompée avec un autre. Alexandre avait confiance en son archevêque, aussi chassa-t-il Bellisant loin de sa cour.
Bellisant dû donc partir, accompagnée de son fidèle écuyer Blandimain. Tout allait mal pour elle : non seulement sa réputation était souillée, elle était répudiée, elle ne connaissait personne dans ce pays, mais en plus elle était enceinte ! Elle résolut de regagner la France pour se remettre sous la protection de son frère Pépin. Néanmoins, alors qu'elle traversait la forêt d'Orléans, elle donna naissance à deux garçons.
Son écuyer l'avait laissée seule pour chercher le secours d'une sage-femme (qui arriva trop tard, malheureusement pour elle mais heureusement pour nous sinon il n'y aurait pas eu d'histoire).
"Mais ils ne furent pas sitôt venus sur la terre qu’il vint vers elle une grosse ourse velue et horrible, faisant de grands cris et effrayée ; elle s’approcha d’elle et prit entre ses dents un de ses deux enfants et s’enfuit dans le bois. Alors la dame fut désespérée, et d’une voix faible et basse commença à crier et à courir par le bois après la trop cruelle bête qui emportait son enfant. Hélas ! la poursuite fut inutile..."
Tandis qu'elle poursuivait l'ourse pour tenter de lui reprendre son premier enfant, Pépin passait justement dans les parages et trouva un bébé tout seul dans la forêt : c'était le deuxième garçon. Le Roi le crut abandonné et décida de l'élever comme son propre fils, sans savoir qu'il s'agissait de son neveu. Ainsi, quand Bellisant revint à l'endroit où elle avait accouché, elle avait perdu ses deux enfants. Par ailleurs, son écuyer revenait avec une mauvaise nouvelle : il avait croisé Pépin das les bois et celui-ci, qui après avoir eu vent des raisons du retour de sa soeur en France, la croyait réellement fautive... Il refusait de la prendre sous son toit. Bellisant dû donc repartir et trouva finalement refuge au Portugal (un pays alors occupé par les sarrasins), chez la soeur d'un géant farouche.
"L’ourse qui avait pris un des enfants de Bellissant ne le dévora pas, mais le porta en sa tanière en une fosse profonde et obscure, en laquelle il y avait quatre oursons forts et puissants. L’ourse jeta l’enfant parmi les oursons à manger ; mais Dieu, qui n’oublie jamais ses amis, montra un évident miracle, car les oursons ne lui firent aucun mal, mais de leurs pattes velues commencèrent à le piquer doucement. Et quand l’ourse vit ses petits ne le vouloir dévorer, elle fut si amoureuse de l’enfant qu’elle le garda un an entier parmi les oursons ; l’enfant, à cause de la nourriture de l’ourse, devint tout velu comme une bête sauvage et il se mit à cheminer parmi le bois et devint grand en peu de temps"
Vingt années s'écoulent. Le garçon enlevée par l'ourse, surnommé Orson, a grandi dans la forêt et est devenu fort et brutal : les voyageurs qui passent dans la forêt ont peur de croiser cet homme sauvage qui attaque Hommes et bêtes.
A l'inverse, son frère, nommé Valentin, a été élevé comme un chevalier.
Au bout de toutes ces années, les gens se plaignent tant de l'homme sauvage qui sévit dans la forêt d'Orléans que Valentin va l'affronter.
Au départ, Orson se montre très impressionné par le cheval de Valentin (un peu comme Lancelot qui découvre les chevaliers au début du Chevalier de la Charrette). Puis les deux frère insoupçonnés combattent : Valentin avec son épée, Orson avec ses poings puis un arbre déraciné. Le chevalier a le dessous sur le sauvage, jusqu'à ce qu'il lui propose de le ramener à la cour avec lui : "je vous ferai baptiser et apprendre la sainte foi ; je vous donnerai assez de chair et poisson à manger et du vin à boire, je vous donnerai des vêtements et vous passerez vos jours honnêtement, ainsi que tout homme doit faire."
Orson accepte de suivre son frère pour être baptisé. Dès lors, il cesse d'être un sauvage, même s'il ne peut toujours pas parler (il doit se faire comprendre par signes) et qu'il préfère combattre nu qu'en cotte de mailles.. Finalement, il va chercher la parole pour pouvoir épouser la dame de ses pensées, une pucelle prisonnière d'un chevalier qui ne pouvait être vaincu que par "un homme qui sera fils de roi et aura été nourri sans être allaité de nulle femme".
Les deux compagnons s'en vont à Jérusalem pour combattre les païens. C'est là-bas qu'ils découvrent leurs origines (donc leur fraternité) et qu'Orson trouve la parole : il suffisait de lui couper un filet qu'il avait sous la langue. Quand il revient auprès de sa belle, il est devenu tout à fait chevalier, à tel point qu'au départ elle ne le reconnaît pas !
Comme dans les chansons et romans médiévaux, s'ensuivent de nombreuses péripéties : aventures amoureuses, combats de chevalier, guerre contre les païens, féerie, trahisons... etc. Je vous passe les détails car ce n'est pas le sujet qui nous intéresse cette Été.
Je vais passer directement à la fin : lors d'une bataille, Valentin a malencontreusement tué son père Alexandre. Orson est nommé empereur, tandis que Valentin, inconsolable, vit en ermite pour se laver de ses péchés. A Rome, le Pape lui conseille ainsi de vivre pendant 7 ans sans parler, comme un pauvre, sous l'escalier de son propre palais où nul ne le reconnaît dans ce pélerin muet et déguenillé. La situation de départ s'est donc inversée : c'est désormais Valentin qui vit comme un pauvre ère et ne peut plus parler.
En outre, Orson lui-même termine sa vie comme il l'a commencée : "Il s’en alla en un bois, où il mena une si sainte vie, qu’après sa mort il fut canonisé et fit plusieurs miracles". On constate cependant que s'il retourne vivre "au bois", ce n'est plus un sauvage mais un saint homme désormais.
Cette histoire qui met en scène un garçon élevé par une ourse permet de donner naissance à un héros d'une grande puissance (ce qui lui permettra de triompher de nombre d'ennemis) et permet aussi de prouver qu'en recevant le baptême, n'importe quel sauvage peut devenir un saint ! Deux notions (la bravoure et la sainteté) fort prisées au Moyen Âge...
Vous pouvez la lire en entier en ligne en cliquant ici.
Une belle histoire qui m'était inconnue
RépondreSupprimerA moi aussi avant cet été ;-P
SupprimerJ'adore les romans médiévaux !