Un autre épisode du Roman de Renart met en scène un paysan, Liétart, qui possède
un vieux bœuf tellement mal en point qu'il ne sait plus qu'en faire.
Dans un accès de colère, il prétend qu'il aimerait bien que le loup ou
l'ours vienne l'emporter pour qu'il soit débarrassé de lui.
Hélas,
Liétart va comprendre qu'on ne doit jamais dire de telles paroles en
l'air : Brun passait dans les parages et a tout entendu ! Il compte bien
profiter de l'occasion pour manger le bœuf qui lui a été indirectement
promis.
Quand il réclame son bien, Liétart comprend qu'il n'aurait pas
dû parler si vite ! Il demande à Brun de lui prêter encore son bœuf
jusqu'au lendemain (le temps de trouver une solution...). Mais pour une
fois, l'ours a retenu un enseignement de Renart et ne se laisse pas
avoir...
"À trop attendre, on finit par tout perdre, je le tiens
de Renart, expert en tromperie, qui a dit aussi : mieux vaut tenir que
quérir. [...] Si je le laissais s'échapper de mes mains, je crois bien,
par saint Jean,que je ne le reverrais plus de l'année. Tu ferais tout ton possible pour éviter de te trouver sur mon chemin."
Brun a aussi ses propres raisons de se méfier, car il a déjà été la dupe d'un paysan :
"Je
me suis vraiment bien fait avoir par une saleté de paysan de la pire
espèce, qui n'a pas tenu sa parole cette année, sans jamais s'en
repentir, ni me demander pardon, ou me faire amende honorable.
C'était avant les vendanges, quand il a juré devant Dieu et tous ses
anges, que s'il lui donnait la joie éternelle, il se rendrait
directement chez moi, et que si Dieu lui donnait la santé, il me
donnerait une grande quantité de ses rayons de miel, que j'aime le plus
au monde, si je lui rendais ses deux chevaux,que je comptais manger le soir même. Je l'ai cru sur parole, ce qui est bien bête, car il n'y a pas de pire
gage que celui d'un paysan. Je ne les aime pas beaucoup, car celui-là
m'a bien menti."
Dans cette histoire, Brun représente donc le
baron, le seigneur, qui n'a pas confiance en ses paysans : "Je ne
conseille pas à un seigneur terrien, qui a pris et enfermé un de ces
paysans à cause de la taille, ou pour un forfait, de le laisser partir
libre sur sa seule parole, car rien n'est moins garanti."
Étant donné que le public du Roman de Renart était majoritairement populaire
(donc de la classe paysanne), Brun n'apparaît pas comme très sympathique
aux yeux du lecteur/spectateur quand il déclare ça.
Cependant, le
paysan se met à pleurer et à plaider son honnêteté, de sorte que Brun
finit par céder... en partie par gourmandise, car il espère qu'en
attendant le lendemain, le boeuf sera encore meilleur : "D'accord,
emmène-le, et donne-lui donc du foin et de l'avoine. Je voudrais qu'il
soit plus gras..."
Brun parti, le paysan se lamente sur son sort.
Renart qui était caché non loin de là en attendant que de chiens
passent, l'entend et lui demande les raisons de ses lamentations, car il
souhaite aider le pauvre homme. Celui-ci prétend au départ que nul ne
peut lui venir en aide. Mais Renart le contredit : "Tu ne sais même pas à
qui tu as affaire. Si tu le savais, alors tu ne serais ni découragé, ni
inquiet pour quoi que ce soit, au contraire, tu serais serein, pour
autant que je veuille bien t'aider, car je suis maître dans l'art du
plaidoyer."
D'emblée, Renart est donc plus sympathique que Brun
pour le public : plus rusé, plus dégourdi, moins pataud, il est prêt à
aider le paysan.
Liétard raconte donc ses soucis au goupil,
lequel lui assure qu'il va l'aider... Néanmoins, de même que Brun, il se
méfie : "Par le plus grand des stratagèmes, je ferai libérer Rougel [le
boeuf] et je t'obtiendrai l'ours en prime, dont tu seras alors
débarrassé. Mais à quoi bon, j'imagine que je ne récolterai qu'une bonne
punition de ta part, car les paysans, c'est comme les chiens, ça ne
pense qu'à faire du mal."
Une nouvelle fois, le paysan promet
qu'il est honnête : Renart demande quand même à avoir un coq pour prix
de son aide, et Liétart assure qu'il le lui donnera avec quinze autre
poulets.
Renart expose sa ruse : il recommande à Liétart de
cacher une cognée et un couteau sous son manteau quand il portera son
boeuf à Brun le lendemain. Pendant ce temps, lui-même se cachera non
loin et jouera du cor pour faire croire à l'ours qu'une chasse est en
cours.
"Quand tu lui auras raconté ce mensonge, du mieux que tu pourras,
sache qu'il sera bien content que tu l'aides à se planquer et à
s'enterrer dans l'un de tes sillons."
Liétart devra alors assommer Brun
puis le poignarder. Après quoi, il pourra le dépecer, saler sa viande et
garder sa peau (mais Renart lui recommande tout de même de faire ça
pendant la nuit, pour ne pas être vu de son seigneur).
La ruse de
Renart fonctionne : c'est ainsi que Brun trouve la mort, sous les coups
du paysan Liétard... Du reste, Renart est bien mal payé car le bonhomme
refuse ensuite de lui céder les poules et poulets qu'il lui avait
pourtant promis.
Brun a encore était trop nigaud, le paysan pas très honnête, et Renart s'est fait avoir, pour une fois ! Dans cette histoire, c'est le paysan Liétard qui s'en sort bien ...
RépondreSupprimerOui, c'est vrai. En réalité, même dans son propre Roman, il n'est pas rare que Renart n'ait pas gain de cause (ce qui aiguise sa ruse par la suite!)
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