samedi 10 octobre 2020

Lion et trotte-menu

 Hier, nous avons vu que la Reine des Souris des champs du pays d'Oz donnait une bonne leçon d'humilité au Lion. Cette idée selon laquelle on a toujours besoin de plus petit que soi n'est pas nouvelle. C'est l'éternelle histoire de David et Goliath ! Dans les fables, cette morale a souvent été illustrée par les deux archétypes que sont le Lion (fort, brave, royal) et le rat/la souris (petit, animal des bas-fond). Nous en avions déjà eu un exemple avec Aslan délivré par les souris.

Je vais vous proposer plusieurs fables ici, qui ont toutes la même moralité. Vous pouvez choisir de n'en lire qu'une seule, ou toutes à votre aise. Vous pourrez ainsi comparer la manière dont les fabulistes composent sur le sujet. 

Esope (VIIe-VIe siècle avant J.C)

LE LION ET LE RAT RECONNAISSANT 

Un lion dormait ; un rat s’en vint trottiner sur son corps. Le lion, se réveillant, le saisit, et il allait le manger, quand le rat le pria de le relâcher, promettant, s’il lui laissait la vie, de le payer de retour. Le lion se mit à rire et le laissa aller. Or il arriva que peu de temps après il dut son salut à la reconnaissance du rat. Des chasseurs en effet le prirent et l’attachèrent à un arbre avec une corde. Alors le rat l’entendant gémir accourut, rongea la corde et le délivra. « Naguère, dit-il, tu t’es moqué de moi, parce que tu n’attendais pas de retour de ma part ; sache maintenant que chez les rats aussi on trouve de la reconnaissance. » Cette fable montre que dans les changements de fortune les gens les plus puissants ont besoin des faibles. 

(source)

 
Marie de France  (XIIe siècle)
 
LE LION ET LA SOURIS

Un Lion jadis, dit-on, dormait
Dans le bosquet où il logeait.
Autour de lui, jouait, folette,
Une tribu de Souricettes.
L’une, toute étourdie, trotta
Sur le Lion, et le réveilla.
Le Lion en fut très irrité.
Il la prit, et, fort courroucé,
Rugit qu’il saurait la punir.
Elle s’excusa, sut lui dire
Qu’elle n’avait pas fait exprès…
Il la laissa aller en paix.
« J’aurais, dit-il, maigre gloriole
A mettre à mort cette bestiole. »
Or, à bien peu de temps de là,
Un Homme, dit-on, prépara
Une vaste fosse et, de nuit,
Le Lion y tomba : il fut pris
Et, craignant fort d’être tué
Dans la fosse, se mit à crier.
La Souris s’en vint à ces cris,
Mais sans savoir que c’était lui
Qu’elle avait jadis réveillé.
Quand elle le vit prisonnier,
« Que cherchiez-vous, dit-elle, ici ? »
Il répond qu’il a été pris
Et sera tué à grand-douleur.
La Souris dit : « N’ayez pas peur,
Je vais, moi, vous récompenser
De m’avoir jadis pardonné
D’avoir osé trotter sur vous.
Grattez la terre au fond du trou
Pour prendre un appui bien ancré,
Puis élancez-vous et sautez
De façon à pouvoir sortir.
Quant à moi, je ferai venir
D’autres Souris pour m’assister :
Que ces cordes soient bien rongées
Et ces filets qui sont tendus,
Cher Lion, ne vous retiendront plus.»
Le Lion écouta la Souris :
Ainsi put-il sauver sa vie.
S’il dut de pouvoir s’échapper
Ce fut à son humilité.

Par cet exemple on peut le voir:
Aux riches, qui ont tout pouvoir
Sur les pauvres, d’avoir conscience,
S’ils leur nuisent par ignorance,
Qu’ils doivent avoir pitié d’eux
Car, dans l’avenir, il se peut
Que le pauvre ait à les aider
Et sache mieux les assister,

Quand le sort les aura surpris,
Que le meilleur de leurs amis !

 

Enluminure de Richard de Montbaston (XIVe s.)


 

Clément Marot (XVIe siècle)
Cette fable est, je trouve, la plus rigolote car elle s'inscrit au sein d'une lettre. Le poète se sert de cet apologue pour inciter son ami, justement nommé Lion, à venir le voir. Autrement dit, son ami a peut-être l'impression d'être quelqu'un d'important et il ne daigne pas rendre visite à un pauvre poète... Mais qui sait si un jour ce misérable poète ne pourra lui rendre service ?!
Jouissez des tournures anciennes de cette fable, rigolotes tout en restant compréhensible ! 
 
A SON AMI LION
 
Mais je te veux dire une belle fable,
C'est à savoir du lion et du rat.


Cettui lion, plus fort qu'un vieux verrat,
Vit une fois que le rat ne savait
Sortir d'un lieu, pour autant qu'il avait
Mangé le lard et la chair toute crue ;
Mais ce lion (qui jamais ne fut grue)
Trouva moyen et manière et matière,
D'ongles et dents, de rompre la ratière,
Dont maître rat échappe vitement,
Puis met à terre un genou gentement,
Et en ôtant son bonnet de la tête,
A mercié mille fois la grand'bête,
Jurant le Dieu des souris et des rats
Qu'il lui rendrait. Maintenant tu verras
Le bon du compte. Il advint d'aventure
Que le lion, pour chercher sa pâture,
Saillit dehors sa caverne et son siège,
Dont (par malheur) se trouva pris au piège,
Et fut lié contre un ferme poteau.

Adonc le rat, sans serpe ni couteau,
Y arriva joyeux et esbaudi,
Et du lion (pour vrai) ne s'est gaudi,
Mais dépita chats, chattes, et chatons
Et prisa fort rats, rates et ratons,
Dont il avait trouvé temps favorable
Pour secourir le lion secourable,
Auquel a dit : " Tais-toi, lion lié,
Par moi seras maintenant délié :
Tu le vaux bien, car le coeur joli as ;
Bien y parut quand tu me délias.
Secouru m'as fort lionneusement ;
Or secouru seras rateusement. "

Lors le lion ses deux grands yeux vertit,
Et vers le rat les tourna un petit
En lui disant : " Ô pauvre verminière
Tu n'as sur toi instrument ni manière,
Tu n'as couteau, serpe ni serpillon,
Qui sût couper corde ni cordillon,
Pour me jeter de cette étroite voie.
Va te cacher, que le chat ne te voie.
- Sire lion, dit le fils de souris,
De ton propos, certes, je me souris :
J'ai des couteaux assez, ne te soucie,
De bel os blanc, plus tranchants qu'une scie ;
Leur gaine, c'est ma gencive et ma bouche ;
Bien couperont la corde qui te touche.
De si très près, car j'y mettrai bon ordre. "

Lors sire rat va commencer à mordre
Ce gros lien : vrai est qu'il y songea
Assez longtemps ; mais il le vous rongea
Souvent, et tant, qu'à la parfin tout rompt,
Et le lion de s'en aller fut prompt,
Disant en soi : " Nul plaisir, en effet,
Ne se perd point quelque part où soit fait. "
Voilà le conte en termes rimassés
Il est bien long, mais il est vieil assez,
Témoin Ésope, et plus d'un million.

Or viens me voir pour faire le lion,
Et je mettrai peine, sens et étude
D'être le rat, exempt d'ingratitude,
J'entends, si Dieu te donne autant d'affaire
Qu'au grand lion, ce qu'il ne veuille faire.

 

Illustration d'Hélène Barrieu
 


La Fontaine (XVIIe siècle) : la plus connue !
(La Fontaine fait référence à "deux fables" au vers 4, car cette fable fait écho à une autre La Colombe et la Fourmi)
LE LION ET LE RAT

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : 
On a souvent besoin d'un plus petit que soi. 
De cette vérité deux fables feront foi, 
Tant la chose en preuves abonde. 
 
Entre les pattes d'un Lion, 
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
 Le Roi des animaux, en cette occasion, 
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie. 
Ce bienfait ne fut pas perdu. 
Quelqu'un aurait-il jamais cru 
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire? 
Cependant il avint qu'au sortir des forêts 
Ce Lion fut pris dans des rets, 
Dont ses rugissements ne le purent défaire. 
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents 
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage. 
Patience et longueur de temps 
Font plus que force ni que rage.
 
 
Et pour vous amuser un peu... 
Une fable modernisée en sabir (je n'ai pu trouver ni l'auteur ni la date, probablement fin XXe ou XXIe siècle vu l'histoire !):

LE LION ET LE RAT
 
Un jor, l'Lion qui c'ist un grand costaud, 
Y fifit bamboula didans un chic bistrot. 
Tojors bian habilli vic dis joulis custumes, 
Bill's chimis's, bill's savates it chapeau vic la plume. 
Y l'avit dis combines, il vendit d'la coco
 Au quartier di montmartre, à tous lis gigoulots. 
Voila qu'la porte y s'ouvre, il y rentre dans l'cafi 
Li puvre misio lit Rat qui l'ist tout gringalit. 
Y fir' un p'tit coummirce, y vend di cigarittes. 
Borquoi il ist pas riche, y en as pas di galitte, 
Y dire pardon m'sio Lion, ti mit' pas en coulire, 
Ji vends cis p'tits migots bor fir' mangi ma mire. 
Li Lion qui l'ist gentil y loui dire c'ist tris bian, 
Ti peux fir' ton coummirce, moi ji ti dira rian. 
Tôt à coup; Ah ! mon Dio, il arrive la boulice, 
Misio li Rat tot d'souite sous la table y si glisse. 
Mis li beau misio l'Lion luoi il ist arriti.
 Li panier à salade l'empourte à loa Santi. 
Ca c'ist pas li filon, ji ti jourre citt' brison, 
Et dans un p'tit cilloule voilà misio Lion. 
Mis li Rat ji ti jourre il ist pas imbicile, 
Y marchi en vitisse dans lis igouts d'la ville 
Il arrive dans l'cilloule di roi di z'animals 
Y loui portera un lime, rivolvir it dis balles 
Et pouis dans la gamill' dis gardiens y mittra 
Doc'ment sans fir' di bruit plein di la mourte aux rats Et voila li Lion qui ist sourti dihors 
Y caval' coumm'un fou, ji crois y cour' encore. 
 
 Mortalité
 
Dans la vie si ti ist grand, mime kif-kif li Soultan, 
Ti pens'ras qui d'un p'tit ti en a bisoin souvent 
Li grand qui l'ist tris fort y fit beaucoup d'potin, 
Mis li p'tit mon z'ami il ist bian plous malin. 
 
Scar et une souris dans Le Roi Lion de Disney

 

2 commentaires:

  1. Toutes ces fables se ressemblent, écrites pourtant à des périodes différentes. Désolée, je n'ai pas pu lire la dernière :)

    RépondreSupprimer
  2. ben moi aussi, je suis plus à l'aise avec la fable de la Fontaine ...

    RépondreSupprimer


Pour laisser un commentaire :
Choisissez dans l'onglet déroulant " Nom/url"
Une fenêtre "Modifier le profil" va s'ouvrir.
Entrez votre pseudo, laissez la case url vide.
Vous n'avez plus qu'à me laisser votre petit message !