Le célèbre personnage de Peter Pan créé par J.M. Barrie apparaît pour la première fois en 1902 dans le roman Le Petit Oiseau Blanc. Le narrateur y évoque ses sorties dans Londres, et notamment dans le parc de Kensington, avec un petit garçon, David (il s'agit en fait d'une transposition littéraire de J.M. Barrie et du fils d'une amie qui deviendra son fils adoptif).
Dans ce roman, on ne parle de Peter Pan que dans quelques chapitres, mais comme ce furent eux qui eurent le plus de succès, ils furent rapidement extraits du texte complet pour former un plus petit livre : Peter Pan dans les jardins de Kensington (en 1906).
A ce moment-là, l'histoire de Peter Pan est encore bien différente de celle que nous connaissons si bien. Ici, pas de sirènes, d'Indiens, de Capitaine Crochet, de Wendy ou de Fée Clochette... Comme le titre l'indique, ces aventures se déroulent aux Kensington Garden, un parc londonien.
Peter Pan, comme tous les enfants, était un oiseau avant d'être déposé chez ses parents. Or, comme il se croyait toujours oiseau, un jour, alors qu'il était encore bébé, il a essayé de s'envoler par sa fenêtre. Il est arrivé dans les jardins de Kensington, et il y est resté jusqu'après l'heure de la fermeture. C'est à cette heure là que sortent les fées... mais quand celles-ci l'ont aperçu, elles ont pris peur en reconnaissant un Homme et l'ont chassé. Ne sachant que faire car il se croit toujours oiseau, Peter Pan décide donc de se réfugier sur l'Île des Grives, au milieu du bassin. Là, il va demander conseil au chef de la communauté, Salomon Caw, qui n'est autre qu'un... corbeau ! En effet, "caw" veut dire "croassement", "croasser".
Le corbeau emprunte probablement son nom au Roi Salomon, prophète biblique et roi d'Israël réputé pour sa sagesse. Il est connu pour avoir résolu en toute justice des énigmes, des dilemmes, des conflits, des procès...
Ainsi, comme son homonyme, Salomon Caw donne à Peter des conseils avisés. C'est lui qui lui démontre qu'il est un garçon, non un oiseau, parce qu'il porte une chemise de nuit, a des doigts et non des griffes, et n'a aucune aile pour voler.
Salomon Caw est dépeint comme un vieil oiseau un peu bougon, mais gentil au fond. Devant le désarroi de Peter qui ne peut pas rentrer chez lui, il décide de le prendre sous son aile.
« Pourquoi ne
pars-tu pas ? demanda poliment le vieux
Salomon.
- J’espère », dit Piter d’une voix émue, j’espère que je pourrai encore voler. »
Vous le voyez : il avait perdu la foi.
« Pauvre petit, moitié d’homme, dit
Salomon, qui n’était pas au fond un mauvais
cœur. Tu ne pourras jamais plus voler, pas
même les jours de vent. Il te faut désormais
demeurer sur cette île.
- Et ne plus jamais retourner dans les Jardins
de Kensington ? demanda Piter d’un ton
tragique.
- Comment pourrais-tu y arriver ? » dit
Salomon.
Il promit très aimablement, cependant,
d’apprendre à Piter autant de procédés propres
aux oiseaux qu’il était possible d’en apprendre à
un être aussi disgracié de la nature.
« Alors, je ne serai pas tout à fait un
homme ? demanda Piter.
- Non.
- Ni tout à fait un oiseau ?
- Non.
- Alors, qu’est-ce que je serai ?
- Tu seras un Entre les Deux », dit Salomon,
et certainement c’était un sage, car c’est
exactement ce qui arriva.
Salomon organise la nouvelle vie de Peter : il demande aux oiseaux de lui ramener les morceaux de pain qu'on leur jette dans le parc et l'initie aux "usages des oiseaux" :
"Le meilleur enseignement
que lui donna le vieux Salomon, ce fut d’avoir un
cœur content. Tous les oiseaux ont le cœur
content, sauf quand on vole leur nid, et comme
c’était la seule espèce de cœur que connut
Salomon, il lui fut facile d’apprendre à Piter à en
avoir un semblable."
Ainsi, Peter Pan lui-même devient une sorte d'enfant-oiseau : "Le cœur de Piter était si content qu’il
éprouvait le besoin de chanter tout le long du
jour, de même que les oiseaux chantent pour
exprimer leur joie". Plus tard, quand les fées lui donnent le don de voler, il est même capable de s'élever dans les airs avec ses condisciples.
Plus tard, Peter rencontre Maimie, une petite fille qu'il apprécie vraiment... et à qui il adresse un drôle de compliment : "Savez-vous pourquoi je
vous aime ? C’est parce que vous ressemblez à
un joli nid." Ce à quoi elle répond : "En ce moment, vous parlez plutôt comme un oiseau que comme un garçon", et elle
s’éloigna un peu ; en effet il avait plutôt l’air d’un
oiseau.
En outre, Salomon Caw est aussi chargé de réceptionner les lettres que ceux qui souhaitent un bébé (qu'il s'agisse d'enfants désireux d'avoir un petit frère ou de futurs parents) envoient sur l'Île des Grives. (Rappelez-vous que les enfants sont des oiseaux avant de naître). Il joue donc un peu le rôle d'une cigogne. Mais attention, il peut avoir ses lubies : il aime prendre les choses en main et n'aime pas qu'on lui dise ce qu'il doit faire. Ainsi, il peut lui arriver de donner des garçons à ceux qui veulent des filles. Surtout, "prenez toujours
la peine d’indiquer clairement votre adresse.
Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre
d’enfants pour lesquels Salomon s’est trompé
d’adresse."
Si on veut être exaucé, il faut donc mieux être dans les bonnes grâce de Salomon, et pas seulement au sujet des bébés. Peter le sait très bien : quand il veut obtenir son aide, il commence par l'amadouer. Pour cela, il lui arrive de lui faire miroiter un billet de cinq livres. Comme tous les corbeaux, Salomon aime chaparder ce qui lui tombe sous le bec : "Salomon n’avait pas l’intention de
rester au pouvoir toute sa vie. Il songeait à
l’avenir et désirait prendre sa retraite pour
consacrer sa verte vieillesse à une vie de plaisir [...] et
pendant des années il s’était occupé
tranquillement à remplir son bas. C’était un bas
qui avait appartenu à un baigneur et qui avait été
jeté sur l’île ; à l’époque dont je parle il contenait
cent quatre vingt miettes, trente quatre noix, six
croûtes, un essuie-plumes et un lacet de souliers."
Peter prend aussi garde à le laisser parler en premier pendant les réunions, pour ne pas le froisser "car il
devenait bientôt grincheux si c’étaient d’autres
que lui qui parlaient".
Salomon Caw est donc un roi sage mais aussi un vieux ronchon. Ses préceptes et ses verdicts sont tournés de manière humoristique, comme quand il veut défendre la manière de faire les nids des grives contre celle des pinsons. Mme Pinson trouve de meilleures arguments que lui, "et Salomon fut si embarrassé qu’il prit
plusieurs gorgées d’eau" pour se donner le temps de réfléchir. Finalement, le débat prend fin quand Mme Pinson est chassée par les grives, et Salomon retrouve sa suprématie sans pour autant avoir tenu le meilleur raisonnement.
De même, ses adages sont amusants : "Salomon possédait plusieurs
proverbes excellents pour les animer à l’ouvrage.
« Ne remettez jamais au lendemain parce que
vous pourriez encore remettre au lendemain. »
« En ce monde, on n’a de la chance qu’une fois. »..."
Toujours est-il que, bien que ronchon et d'une sagesse propre aux corvidés, Salomon reste cher au cœur de Peter. Quand il hésite à retrouver sa mère, il prétend qu'il ne peut pas quitter le corbeau sans lui avoir fait ses adieux.
Bref, en résumé, Salomon Caw est un personnage important de cette première version de Peter Pan... Drôle, attachant, sage et aussi représentatif des corbeaux : il aime être flatté, aime amasser des trésors ou encore parler à tort et à travers. Mais il a bon coeur, c'est ce qui compte ! Dommage qu'il ait disparu par la suite : il n'a pas suivi le garçon au Pays Imaginaire !
Si vous n'avez encore jamais lu Le Petit Oiseau Blanc, vous pouvez cliquer ici pour le lire en ligne (en Anglais) ou ici pour lire Peter dans les Jardins de Kensington (en Français). Je vous le conseille, c'est vraiment une magnifique histoire, bien différente de celle Peter Pan et Wendy !
Tu viens de me faire connaitre une belle histoire, " les enfants sont des oiseaux avant d'être déposés chez leurs parents" c'est une image très poétique. Le corbeau Salomon Crow est dépeint d'une façon très positive, on est loin du charognard
RépondreSupprimerOui j'ai adoré cette version très poétique de Peter Pan !
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