Hier, je vous ai parlé de tous les indices "religieux" que j'ai relevé lors de la lecture de ce conte. Aujourd'hui, je vais vous parler d'un autre symbole qui parcourt tout le conte : la quête de la chaussure ! ça semble un peu stupide comme motif, et à vrai dire, quand j'avais lu ce conte il y a quelques années, cet aspect ne m'avait pas vraiment marqué. Cependant, c'est en le lisant à nouveau pour pouvoir vous en parler en détail que cela m'a frappé !
En effet, comme je vous l'avais expliqué pour le conte de Cendrillon cet Eté, la chaussure renvoi à un symbolisme féminin et sexuel fort...
Regardons notre conte...
*Dès la 3ème histoire, alors que Gerda croit Kay perdu, elle part questionner la rivière à ce sujet :
« Je vais mettre mes souliers rouges tout neufs, se dit-elle un matin, ceux que Kay n’a jamais vus, et j’irai trouver la rivière et lui demander si elle sait ce qu’il est devenu. »
Gerda met donc ses souliers neufs... Cependant, persuadée que Kay est mort, Gerda va jeter ces chaussures à l'eau, comme si elle rejetait avec elle sa féminité, et surtout son amour pour Kay qui semble perdu à jamais....
"Elle prit ses beaux souliers qu’elle aimait par-dessus tout et les lança dans l’eau. Mais elle n’était pas bien forte, la petite Gerda ; ils tombèrent près de la rive, et les petites vagues les repoussèrent à terre. Elle aurait pu voir par là que la rivière ne voulait pas garder ce présent, parce qu’elle n’avait pas le petit Kay à lui rendre en échange."
Gerda monte alors dans un bateau pour lancer ses souliers plus loin du bord. Après avoir exécuté ce geste, elle se fait emporter par le courant...
Gerda est donc pieds-nus au moment où elle quitte son village, et elle le sera toujours quand elle arrivera dans le jardin enchanté...
*Comme nous l'avons déjà vu, la fillette passe tout l’Été dans ce jardin. On imagine qu'elle reste sans chaussure tout au long de la saison, car quand elle s'enfuit du jardin, on nous précise que "la petite se précipite, pieds nus, à travers le vaste monde" et plus loin on nous parle de "ses petits pieds meurtris".
Illustration de Boris Diodorov : Gerda sans chaussures à la sortie du jardin |
*Peu après, Gerda rencontre la corneille. Apparaît alors une nouvelle allusion aux chaussures, celles du prince : "Les bottes du jeune intrus craquaient affreusement". On voit là l'importance des chaussures, puisque Gerda croit reconnaître son ami à cette simple allusion des bottes : "C’était certainement Kay, dit Gerda. Je sais qu’au moment où il disparut on venait justement de lui acheter des bottes neuves".
Gerda demande alors à la corneille de la conduire au palais... Mais l'oiseau doute de la réussite de ce projet, émettant un argument qui a trait, là encore, aux chaussures, ou plutôt au manque de chaussures : "jamais une petite fille comme toi, et sans souliers, n’est entrée dans les beaux appartements du palais".
Ici, la chaussure devient donc un signe de prestige : le futur prince portait des bottes, il a pu pénétrer dans le palais... Gerda, sans chaussures, est le reflet de la pauvreté mais également de l'humilité !
Illustration de Boris Diodorov : Gerda est pieds nus, et on voit, à côté du lit du prince, les bottes en question |
*Pourtant, s'étant aperçue que le prince n'était pas Kay, Gerda retrouve des chaussures ! En effet, la princesse et le prince ne lui fournissent pas qu'un carrosse, il lui donne également "de jolies bottines". Gerda se rapproche-t-elle de son amour ? Non ! Puisque ses bottines lui seront aussitôt prise par la petite fille des brigands... Enfin, seulement pendant un temps, car quand Gerda s'enfuit à dos de renne, la petite brigande lui rend ses chaussures : "Tiens, dit-elle, je te rends tes bottines fourrées, car la saison est avancée".
*C'est donc chaussée de bottine que Gerda arrive en Laponie... Mais, une nouvelle fois, cela ne va pas durer... En effet, il fait si chaud chez la Finnoise que cette dernière ne porte presque pas de vêtement ! Aussi,"elle dénoua tout de suite les habits de Gerda, lui retira les gants et les bottines ; sans cela l’enfant aurait été étouffée de chaleur". Et voilà que Gerda perd de nouveau ses chaussures !
Par ailleurs, la magicienne montrera toute la force de Gerda dans cette phrase adressée au renne : "partie nu-pieds de sa ville natale, elle a traversé heureusement la moitié de l’univers." Là encore, l'absence de chaussure chez Gerda passe pour une marque de courage et une force de l'âme !
En outre, quand Gerda part à l'assaut du château de la Reine, elle va de nouveau nu pieds...
"la Finnoise plaça de nouveau Gerda sur la bête, qui partit comme une flèche. « Halte ! dit la petite, je n’ai pas mes bottines ni mes gants fourrés. » [...] La voilà donc toute seule, la pauvre Gerda, sans souliers et sans gants, au milieu de ce terrible pays de Finnmarken, gelé de part en part".
*Au final, Gerda arrivera-t-elle a trouver chaussure à son pied ? Il semblerait que oui, même si le conte ne le dit pas explicitement... Et oui, souvenez-vous ! Qu'était-il promis à Kay s'il parvenait à former le mot ÉTERNITÉ, en plus de la liberté ? Une paire de patins neufs ! Entre les patins et les souliers, avouez qu'il n'y a qu'un petit pas ! Et étant donné que le mot ÉTERNITÉ est finalement formé, que Kay et Gerda repartent libérés, on peut imaginer qu'ils repartent également chaussés !
Illustration de Vladislav Yerko : Gerda quittant la Finnoise sans chaussures et sans gants |
Pour conclure :
Au fil du conte, Gerda perd et retrouve successivement ses chaussures. On peut penser qu'elle oscille donc entre l'état d'enfance et l'état d'adulte, et que ce n'est qu'à la fin qu'elle trouve le juste milieu, ayant grandit tout en conservant un cœur d'enfant... et par là ayant atteint sa maturité (sexuelle), symbolisée par les chaussures (ou patins).
De plus, nous voyons bien que ces pertes et retrouvailles de chaussures sont liés à Kay, son ami qui deviendra sûrement son amour quand elle sera plus grande... Comme Cendrillon qui trouve à la fois prince et soulier, Gerda retrouve à la fin son ami et des patins !
Enfin, comme nous l'avons vu, l'absence de chaussures de Gerda sert à témoigner de son courage et de son humilité.
Cela dit, cette interprétation est tout à fait personnelle, ce n'est qu'une simple impression que j'ai ressentie à la lecture... A vous de fonder votre propre jugement !
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