mardi 19 septembre 2023

Le lièvre dans le Pañchatantra

 Dans le Pañchatantra (pour mémo : un très ancien recueil d'apologues indiens, composés en sanskrit au IIIe s. av. J.C.), plusieurs histoires mentionnent un lièvre. Notamment les suivantes : 
 
 Livre 1, fable IX : le lièvre et le lion
 
Bhâsouraka (=le héros) est un lion qui tue plus que nécessaire. Les animaux viennent se plaindre de ces méfaits. Le lion accepte de les laisser tranquille à condition que chaque jour, l'un d'entre eux se sacrifie et se présente de lui-même devant le fauve pour lui servir de repas. Les deux parties sont plus ou moins gagnant, : le lion n'a plus à se fatiguer pour chasser, les animaux ne sont plus décimés à l'excès. 
 
Le léopard raporte aux autres animaux la décision du lion dans un manuscrit du XVI siècle (on voit le lièvre en orange au milieu : c'est le seul à regarder ailleurs, comme s'il n'approuvait pas cette décision. Sa couleur le met d'ailleurs en lumière par rapport aux autres personnages)


Quand vient le tour du lièvre, il y va de mauvaise grâce et médite un moyen de tuer le lion. Il arrive en retard et quand le félin le voit, énervé parce qu'il a très faim et que cet animal lui paraît bien maigrichon, il déclare que le lendemain il décimera tous les animaux.
 
Enluminure d'un manuscrit du XIIIe s.

Le lièvre baratine pour ce justifier : il serait venu avec quatre autres compagnons, mais ceux-ci ont été arrêtés en chemin par un autre lion très puissant. Cet autre lion incite Bhâsouraka à venir l'affronter pour voit qui aura le droit de manger les lièvres.
 
Manuscrit du XVe s? (source)

 Dans son orgueil blessé, Bhâsouraka suit le lièvre jusqu'à la prétendue forteresse où vit l'autre lion qui ose le défier. Il s'agit en fait d'un puits : quand Bhâsouraka s'y regarde il voit son reflet, quand il rugit il entend son écho. Furieux, il se jette à l'assaut de cet « ennemi » et meurt en tombant dans le puits. Voilà, conclu la fable, comment un lièvre sage peut venir à bout d'un lion orgueilleux. 
 
Enluminure d'un manuscrit du XIVe s.
 
Enluminure d'un manuscrit du XVIIIe s.

Enuminure d'un manuscrit du XIIIe s.


***

 
Un jour, une grande sécheresse s'installe dans la forêt où règne le Roi des éléphants Tchatourdanta (= "qui a 4 dents"). Les éléphants partent donc à la recherche d'un lac lointain pour s'abreuver. Ils ont la joie d'en trouver un où boire et se baigner... mais ne s'aperçoive pas que dans leurs ébats, ils piétinent les terriers des lièvres qui habitaient sur les rives de ses lacs. Beaucoup de lièvres sont tués ou blessés, écrasés par les pachydermes. 
 
Enluminure d'un manuscrit du XVIIIe s.

Le soir, ils se rassemblent pour décider de leur avenir. Une partie des lièvres, conformément à leur nature couarde, veulent fuir et abandonner leurs maisons. Mais les autres veulent ruser pour effrayer les éléphants et les forcer à repartir. 
 
Enluminure d'un manuscrit du XIXe s.

 
 Voilà ce qu'ils imaginent : Il y a un grand moyen de leur faire peur, de manière qu'ils ne viennent pas, et ce moyen de terreur dépend d'un messager adroit : c'est que notre souverain, le lièvre nommé Vidjayadatla [="donné par la victoire"], habite dans le disque de la lune. Qu'on envoie donc un faux messager auprès du roi de la troupe. Et il faudra dire : La lune te fait défendre de venir à ce lac, car mes serviteurs habitent autour de ce lac.
 
Enluminure d'un manuscrit du XVIIIe s.
 
Pour transmettre cette missive, ils choisissent un lièvre beau parleur nommé Lambakarna [= "qui a de longues oreilles"]. Celui-ci se fait passer pour Vidjayadatla (le lièvre de la Lune) et dit qu'il a un message de Tchandra(mas) le dieu de la Lune. Notez qu'on précise que l'astre est aussi appelé Sasânka (= "tacheté de lièvres"), rapport à ces taches qui rappellent des lièvres dans la Lune.

Enluminure d'un manuscrit du XVIIe s.
 
Le lièvre donc, raconte à Tchatourdanta que s'il repart immédiatement, le dieu de la Lune le rendra fort et puissant grâce à ses rayons. Au contraire, s'il continue à tuer des lièvres avec ses troupes, Tchandra cessera de lui envoyer ses rayons et l'éléphant brûlera sous la chaleur du Soleil.
Tout ému, le roi des éléphants accepte de s'en aller et souhaite même demander pardon à Tchandra.
Lambakarna pousse la ruse un peu plus loin : selon lui, le dieu de la Lune est descendu dans le lac pour pleurer le sort des lièvres tués par les éléphants. Il montre son reflet à Tchatourdanta. Celui-ci tend sa trompe pour demander pardon... mais quand il effleure l'eau, le reflet de la lune se trouble. Lambakarna prétend qu'il a irrité le dieu en touchant l'eau du lac. Affligé, l'éléphant demande encore pardon et s'en va loin de ce lac pour ne plus offenser le dieu de la Lune... 
 
Enluminure d'un manuscrit du XVIe s.

Et voilà comment les lièvres, en invoquant le nom de la Lune, ont pu continuer à vivre heureux sur les berges de leur lac ! 

Enluminure d'un manuscrit du XVIIIe s.


Au passage, notez ce proverbe cité dans le Pañchatantra   : Ce qui cause de la surprise, c'est qu'un lièvre prenne des bouchées d'éléphant.
 
 
C'est l'histoire d'un moineau nommé Kapindjala [= "perdrix francoline"] qui vit dans un tronc d'arbre mais s'en va un jour chercher ailleurs sa pitance. Il part pendant longtemps et, durant son absence, un lièvre, Sîghraga [= "qui va vite"] s'installe dans son ancien logis.  
Or, quand le moineau revient chez lui après avoir bien séjourné à l'étranger, il se met en colère de voir sa maison ainsi squattée. Le lièvre ne comprend pas ce que lui reproche le moineau : pour lui, ici, c'est chez lui ! Ils décident donc d'interroger les voisins pour voir à qui ils donneront raison.
Le moineau veut que ce soit le chat Dadhikarna [= "qui a les oreilles blanches comme lait caillé"] qui examine leur affaire. Le lièvre a peur de ce juge, mais le chat fait tout pour leur inspirer confiance. Prudents, le moineau et le lièvre restent tout de même à distance du chat. Ils lui demandent de juger leur affaire et lui offre de dévorer le perdant. Dadhikarna prétend qu'il a quitté depuis longtemps le chemin du mal et qu'il ne mange plus les animaux mais seulement du riz... mais comme il se fait vieux, il n'a plus très bonne ouïe : les deux plaignants ne pourraient-ils pas se rapprocher pour qu'il les entendent mieux ? Mis en confiance, le moineau et le lièvre viennent près du chat... qui, bien évidemment, les dévore dès qu'ils sont assez prêts !  

Enluminure d'un manuscrit du XIVe s.

Manuscrit du XIe s.


 

2 commentaires:

  1. J'ai bien aimé ces trois histoires, elles sont agréables à lire. Et j'ai aussi bien apprécié les enluminures. Elles sont toutes belles, colorées et vivantes !

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  2. Le lion, les éléphants, le moineau et le lièvre sont victimes de leur naïveté, il faut toujours réfléchir avant d'agir

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