dimanche 24 juillet 2022

Les corbeaux d'Owain (ou une partie d'échec qui tourne au carnage)

Owain mab Urien (ou Owen fils d'Urien) est un roi de Grande-Bretagne qui aurait régné au VIe s. Surtout, il est devenu un héros celte et un personnage de la légende arthurienne (ces fameux chevaliers de la Table Ronde). C'est lui qui donnera son nom à Yvain, popularisé par Chrétien de Troyes au XIIe siècle. 
 
Apparemment, Owain possédait une armée de corbeau. Ainsi, dans le poème du VIe s. composé par le barde Taliesin Gweith Argoed Llwyfain ("La Bataille de Argoed Llwyfain"), il est raconté qu'il combat contre l'envahisseur Fflamddwyn... et il est écrit :
Des corbeaux guerriers sont devenus rouges
Et avec leur chef ont attaqué. 
 
Dans une autre histoire qui fait intervenir Owain et le Roi Arthur, on le trouve encore avec son armée de corbeaux. Il s'agit du Songe de Ronabwy (Breuddwyd Rhonabwy) écrit vers le XIIe-XIIIe siècle (mais peut-être composé bien auparavant et issu d'une tradition orale, puisque pour rappel à l'époque les auteurs et les scirpteurs n'étaient pas les mêmes personnes. 
Dans ce texte, le personnage principal, Ronabwy, s'endort sur une paillasse sale dans une maison miséreuse... et malgré cette piètre couche, il fait un rêve plein de splendeur : il se retrouve auprès des armées du Roi Arthur, aperçoit maints preux chevaliers prêts à partir à la bataille. Parmi ceux-ci se trouve justement Owain. En attendant le début des hostilités, Arthur propose à Owain de jouer aux échecs. Mais tandis qu'ils sont en pleine partie, un page vient trouver Owain et lui apprend que les petits serviteurs d'Arthur sont en train de s'amuser à martyriser ses corbeaux. 
Owain, en apprenant cela, demande à Arthur d'ordonner à ses hommes d'arrêter. 
" Joue ton jeu ", répondit Arthur.
 
Gravure du XIXe s.
 
La partie continue et un autre page vient trouver Owain pour lui parler de ses corbeaux. Celui-ci est de plus en plus inquiet pour les oiseaux, mais Arthur réplique encore : "Joue ton jeu", sans daigner intervenir. 
Quand un troisième page vient prévenir Owain, il n'y tient plus : il ordonne à son serviteur d'élever son étendard au milieu de la mêlé, et advienne que pourra ! 
 
gravure de Charlotte Guest (1877)

Le jeune homme se rendit aussitôt à l'endroit où les corbeaux subissaient l'attaque la plus rude et dressa en l'air l'étendard. Dès que l'étendard fut dressé, ils s'élevèrent en l'air irrités, pleins d'ardeur et d'enthousiasme, pour laisser le vent déployer leurs ailes et se remettre de leurs fatigues. Quand ils eurent retrouvé leur valeur naturelle et leur supériorité, ils s'abattirent d'un même élan furieux sur les hommes qui venaient de leur causer colère, douleur et pertes. Aux uns ils arrachaient la tête, aux autres les yeux, à d'autres les oreilles, à certains les bras, et les enlevaient avec eux en l'air. L'air était tout bouleversé et par le battement d'ailes, les croassements des corbeaux exultant, et d'un autre côté par les cris de douleur des hommes qu'ils mordaient, estropiaient ou tuaient.
 
Illustration d'Allan Lee

Le rapport de force est inversé : cette fois, ce sont trois chevalier d'Arthur qui, tour à tour, viennent le prévenir que ses hommes sont massacrés par les corbeaux. Mais quand Arthur supplie Owain de rappeler ses corbeaux, par trois fois il répond : "Joue ton jeu". Finalement, le Roi est tellement inquiet pour ses hommes qu'il serre si fort les pièces d'échec entre ses doigts qu'elles sont réduites en poudre (alors même qu'elles sont en or, et non en porcelaine ou autre matériau cassant !). Cette fois, impossible de continuer la partie. De toute manière, la plaisanterie a assez duré et Arthur a reçu une bonne leçon. Owain ordonne qu'on baisse sa bannière "et aussitôt la paix fut rétablie partout."
 
Voilà ce qui arrive à ceux qui embêtent les corbeaux ! 
 
Illustration de Natasha N. Sova (2009)

On voit, dans l'extrait cité plus haut, que l'étendard redonne force aux corbeaux, comme si en le voyant flotter ils retrouvaient capable de voler. 
En fait, cette anecdote est peut-être à considérer de manière métaphorique :  les "corbeaux" seraient une image pour désigner les soldats d'Owain. Qui sait, peut-être étaient-ils asticotés par les chevaliers d'Arthur mais n'osaient pas répliquer... jusqu'à ce qu'ils voient le drapeau de leur chef, signe que celui-ci les soutenaient  : ils ont alors eu le courage de rendre les coups qu'on leur distribuait. 
 
Pour lire une traduction de ce texte, vous pouvez cliquer ici. Il peut paraître déroutant de prime abord si on se focalise sur les noms des personnages, mais il faut passer outre : ce n'est pas ça l'important, c'est la poétique et la symbolique des images suscitées.  

2 commentaires:

  1. c'est une belle histoire ....

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  2. Arthur et Owain ont joué de stratégie durant la partie, c'est la définition du jeu d'échec

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